1.0 Introduction
1.1
Le 6 juillet 2013, un train-bloc de pétrole brut Note de bas de page 1 exploité par le chemin de fer Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA) déraille au PM 28 à Lac-Mégantic (Québec). Le déraillement provoque la perforation de nombreux wagons-citernes et un incendie.
1.2
Le Laboratoire d’ingénierie du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a reçu plusieurs fragments de rail prélevés sur le site du déraillement.
2.0 Cœur de croisement d’aiguillage
2.1
La figure 1 montre le cœur de croisement au moment de sa réception. D’après sa conception générale et ses dimensions, il s’agissait d’un cœur de croisement numéro 11 en acier au manganèse moulé. Les marques d’identification sur les éléments du cœur (figure 2) le confirmaient et indiquaient que le cœur avait été fabriqué par Algoma pour des rails de 115 livres. Le dernier chiffre de la date estampée avait été effacé par le trou du boulon (figure 2a); cependant, les marques d’identification sur les éclisses raccordant les rails de prolongement de pointe aux rails de cœur Note de bas de page 2 indiquaient que ces rails avaient été fabriqués par Algoma en 1981. Il est donc probable que le cœur a été fabriqué en 1980 ou 1981.
Figure 1. Diverses vues du cœur de croisement
Figure 2. Marques d'identification du cœur de croisement
2.2
Des mesures de l’usure des rails ont été prises sur les éléments du cœur de croisement accessibles à des mesures directes, à l’aide d’un gabarit d’usure de rail (colonnes 1 à 4 du tableau 1). L’usure mesurée était inférieure aux limites prescrites pour un rail RE de 115 livres – usure verticale du champignon de 5/8 pouce et usure latérale de 3/4 pouce.
Cœur de croisement | Rails d'aiguillage de 22 pieds Note de bas de page a | Rails raccordés par une éclisse rompue | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Rail droit de prolongement de pointe | Rail gauche de prolongement de pointe | Rail de cœur droit | Rail de cœur gauche | Lame d'aiguille droite | Lame d'aiguille gauche | Rail de raccord gauche | |||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | |
Vertical head wear | 1/8 | 1/8 | 1/8 | 1/8 | 9/16 | 9/16 | 9/16 | 1/8 | 1/8 |
Gauge side wear | 0 | 0 | 1/16 | 1/16 | 1/16 | 0 | 1/16 | 0 | 0 |
Field side wear | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
2.3
Sur le site de l’événement, on a découpé les rails du cœur de croisement raccordés aux rails de prolongement de pointe pour en faciliter le transport au Laboratoire d’ingénierie du BST (la partie inférieure de la figure 1d montre les extrémités coupées).
2.4
Au cours de l’événement, les pattes de lièvre se sont rompues à l’extrémité avant de l’entretoise d’entrée de cœur (figure 1c). La figure 3 montre un gros plan des surfaces de rupture des pattes de lièvre. Ces surfaces de rupture présentaient une texture rugueuse caractéristique d’un mode de rupture dû à une contrainte excessive. Elles étaient couvertes de calamine (comme la plupart des éléments de la voie confiés à l’examen du BST) en raison de leur exposition à l’incendie qui a suivi le déraillement. On n’a pas observé de fissures de fatigue ni de défauts préexistants sur les surfaces de rupture.
2.5
Le rail gauche de prolongement de pointe s’était rompu entre l’extrémité sortie de cœur de la partie centrale du cœur et l’entretoise de sortie de cœur (cet emplacement est indiqué par des flèches dans les figures 1b, figures 1c et figures 2a). La figure 4 montre un gros plan des surfaces de contact de rupture pour ce rail. Ces surfaces de rupture présentaient elles aussi une texture rugueuse caractéristique des ruptures dues à une contrainte excessive et avaient été endommagées par le feu. La fissure dans la partie amincie de l’entretoise de sortie de cœur (indiquée par une flèche dans la figure 2c) est survenue probablement en même temps que la rupture du rail de prolongement de pointe. Selon toute vraisemblance, c’est une force exercée sur le rail depuis le côté gauche qui a provoqué ces ruptures. Cette force a eu pour effet de pousser vers l’intérieur, en direction du rail de droite, le rail gauche de prolongement de pointe le long du rail de raccordement du cœur (voir les figures 1c et 1d, où l’orientation normale des rails de gauche est indiquée par des lignes pointillées rouges). La force en question a également déformé les éclisses reliant les rails de prolongement de pointe et ceux du cœur (figure 5). Remarquez l’absence d’un boulon, dont le trou correspondant est encerclé dans la figure 1a. Tous les trous des boulons d’éclisse et de rail présentaient un degré d’usure et de corrosion similaire, et il n’y avait aucun signe que certains avaient été exposés aux éléments plus longtemps que les autres. Il est donc probable que le boulon manquant s’est cassé et perdu au cours du présent événement.
2.6
La figure 6 montre un gros plan de la pointe du cœur, qui a été endommagée – la partie manquante mesurait environ 5 pouces de longueur et 0,5 pouce d’épaisseur. La partie horizontale de la surface de séparation présente un aspect onduleux caractéristique du joint entre une zone réparée par soudage et le matériau de base. Cette constatation suggère que la pointe de cœur avait été précédemment réparée par soudage. La portion approximativement verticale de la surface de séparation (à environ 5 pouces de l’extrémité de la pointe) avait des caractéristiques typiques d’une rupture due à une contrainte excessive. On estime probable que le morceau manquant s’est détaché au cours du présent événement. Si la séparation s’était produite avant le déraillement, on s’attendrait à trouver à sa surface de multiples marques de roue. Il avait aussi des marques de contact des boudins de roue sur le bord gauche de la partie endommagée de la pointe (figure 6), mais pas de marques précises ailleurs. Remarquer aussi une marque faite par une jante de roue sur le sommet de la surface supérieure restante de la pointe (représentée par une flèche dans la figure 6a). Il n’y avait pas d’entaille sur le bord de la surface verticale de rupture correspondant à cette marque de roue, ce qui suggère que celle-ci a été faite au moment où le morceau manquant de la pointe était encore en place.
Figure 6. Gros plans de la pointe de cœur
2.7
Comme on l’a mentionné dans le paragraphe précédent, la pointe du cœur avait probablement été réparée par soudage. De telles réparations sont permises et il faudrait retirer ou réparer tout cœur dont l’usure atteint 0,5 pouce à partir de son sommet Note de bas de page 3. La partie manquante de la pointe de cœur avait une épaisseur approximative de 0,5 pouce, ce qui indique que la pointe avait été réparée parce que son usure approchait de la limite. Il y avait aussi des signes de réparations en d’autres endroits du cœur; on en voit un exemple dans la figure 7.
2.8
Pour résumer l’examen : toutes les ruptures de rail et la déformation des éclisses sont le résultat d’une contrainte excessive. Le cœur avait plus de 30 ans, mais on n’a observé ni usure excessive, ni autres conditions préexistantes qui auraient pu provoquer le déraillement. Par conséquent, la conclusion s’impose : les ruptures et la déformation observées sur les éléments du cœur ont probablement été causées par le déraillement.
3.0 Lames d’aiguille
3.1
Trois rails de lame d’aiguille ont été confiés à l’examen (figures 8 et figures 9). Il n’a pas été possible de déterminer leur âge.
Figure 8. Diverses vues de rails de lame d'aiguille de 22 pieds
Figure 9. Rail de lame d'aiguille de 16,5 pieds photographié des deux côtés
3.2
Les 2 rails montrés dans la figure 8 provenaient d’un seul aiguillage ordinaire à gauche de 22 pieds. Les deux rails et le mécanisme de manœuvre ont été gravement endommagés au cours du déraillement. Les extrémités des aiguilles ne présentaient rien de particulier, si ce n’est un léger détachement de la selle sur la pointe gauche (figure 10). L’usure du rail respectait les limites prescrites pour un rail RE de 115 livres (se reporter aux colonnes 5 à 7 du tableau 1 et au paragraphe 2.2).
Figure 10. Extrémités des rails de lame d'aiguille de 22 pieds
3.3
L’aiguille gauche présentait, attaché à elle avec les éclisses, un morceau de contre-aiguille d’environ 2,5 pieds de longueur (indiqué par l’accolade blanche dans la figure 8d). Cette contre-aiguille avait été découpée sur le site de l’événement pour en faciliter le transport jusqu’au laboratoire du BST. Les mesures de la longueur du rail indiquaient l’absence d’une section de rail d’environ 1 pied située à environ 5 pieds de l’extrémité (voir A et B sur les figure 8a et figure 8b). Les ruptures aux points A et B avaient été causées par une contrainte excessive accompagnée d’une importante déformation plastique (figure 11).
Figure 11. Surfaces de séparation de la lame d'aiguille droite de 22 pieds
3.4
Le talon de la lame d’aiguille gauche avait perdu un morceau d’environ 8 pieds de longueur. La surface de rupture au point C (figure 8) était caractéristique d’une rupture due à une contrainte excessive (figure 12).
3.5
On a tenté de mesurer la dureté des rails; cependant, comme les rails ont été exposés à l’incendie qui a suivi le déraillement, on a jugé que les résultats des mesures n’étaient pas fiables. C’est pourquoi ils ne sont pas indiqués dans les présentes.
3.6
L’autre rail de lame d’aiguille (figure 9) provenait d’un aiguillage droit ordinaire de 16,5 pieds. Ce rail a lui aussi été déformé au cours du déraillement. Il s’est rompu à environ 3 pieds du talon; la surface de rupture était caractéristique d’une contrainte excessive (figure 13a). L’extrémité de la lame d’aiguille présentait des entailles et des bavures, et l’extrémité de la selle était déformée (figure 13b). On n’a pas mesuré l’usure de ce rail, parce que son talon s’était cassé. Cependant, le champignon du rail ne semblait pas usé. L’exploitant du chemin de fer a signalé que les aiguillages de triage de 16,5 pieds avaient été munis récemment de rails neufs.
Figure 13. Gros plans de la lame d'aiguille de 16,5 pieds
3.7
En résumé, les lames d’aiguille ne présentaient pas d’usure excessive et le déraillement est probablement responsable des ruptures dues à une contrainte excessive.
4.0 Éclisse rompue
4.1
La figure 14 montre les deux morceaux de rail joints, comme ils se présentaient à la réception. Les deux morceaux mesuraient respectivement environ 8 pieds et 2 pieds de longueur. Le plus long portait les marques d’identification ALGOMA C.C. 115 LBS RE 1983; le plus court n’en portait aucune. L’éclisse du côté intérieur portait le marquage ALGOMA C.C. 115 LBS RE 1987. Le seul marquage discernable sur l’éclisse du côté extérieur se lisait ALGOMA … 1975 … PAT 1947.
Figure 14. Diverses vues du joint de rail
4.2
L’usure du champignon des deux rails était limitée (se reporter aux colonnes 8 et 9 du tableau 1). Les ruptures des deux rails étaient imputables à une contrainte excessive (figure 15).
Figure 15. Gros plans des surfaces de rupture du rail
4.3
Il y avait une fissure dans l’éclisse du côté intérieur (voir les figure 14b et figure 14c). Un des boulons manquait; cependant, tous les trous dans les rails et les éclisses présentaient un degré similaire d’usure et de corrosion, et il n’y avait pas de signes que certains avaient été exposés aux éléments plus longtemps que d’autres. Il est donc probable que le boulon manquant s’est cassé et perdu au cours du présent événement.
4.4
Le joint de rail a été démonté en vue de l’examen des éclisses (figure 16). L’éclisse du côté extérieur était déformée, mais on n’y a observé aucune fissure. La figure 17 montre des photographies des surfaces de ruptures de l’éclisse du côté intérieur. Une petite fissure de fatigue est visible dans le coin supérieur (représenté par une flèche dans les figure 17a et figure 17b et représenté en agrandissement dans les figure 17c et figure 17d); le reste de la rupture était caractéristique d’une contrainte excessive. Ce bord de l’éclisse se trouvait dans le congé de raccordement sous le champignon du rail, et la fissure de fatigue a pris naissance au point de rencontre des deux rails. De telles fissures de fatigue sont plutôt courantes dans les éclisses Note de bas de page 4. La figure 18 montre des exemples représentatifs de fissures de fatigue dans des éclisses examinées par le laboratoire du BST. Ces éclisses se sont rompues dans des conditions normales de service, par suite d’un agrandissement dû à une contrainte excessive des fissures de fatigue dont la croissance avait atteint une limite critique. Noter que, dans le présent événement, la fissure de fatigue n’avait environ que 25 % de la taille des fissures de fatigue montrées dans la figure 18. Par conséquent, il est peu probable que cette petite fissure de fatigue ait pu causer la rupture de l’éclisse dans des conditions normales de service. Ainsi, même si cette fissure de fatigue s’est révélée un précurseur de la rupture due à une contrainte excessive, cette dernière a été causée en grande partie par une surcharge exercée au cours du déraillement. Cette même surcharge a, semble-t-il, provoqué la déformation de l’éclisse du côté extérieur.
Figure 16. Diverses vues des éclisses démontées
Figure 17. Gros plans de deux surfaces de contact de la rupture du côté intérieur de l'éclisse
Figure 18. Exemples représentatifs de surfaces de rupture d'éclisses provenant d'événements antérieurs
4.5
En résumé, l’examen de la rupture de l’éclisse a révélé une petite fissure de fatigue dans l’éclisse du côté intérieur. Cependant, cette fissure de fatigue n’avait pas atteint une taille critique et la rupture complète de l’éclisse découle d’une surcharge exercée au cours du déraillement.
5. Conclusion
5.1
Les dommages observés sur le cœur de croisement, les lames d’aiguillage et les éclisses provenaient sans doute du déraillement plutôt que d’en être la cause.
Ce rapport de laboratoire fait partie du rapport d'enquête R13D0054 du Bureau de la sécurité des transports du Canada.