Liens connexes (M16P0378)
Kathy Fox, présidente du BST
et
Glenn Budden, Enquêteur désigné, BST
Vancouver (Colombie-Britannique)
31 mai 2018
Version française du mot d'ouverture, prononcé en anglais
Seul le texte prononcé fait foi.
Kathy Fox
Bonjour.
Dans la soirée du 11 octobre 2016, le remorqueur Nathan E. Stewart, immatriculé aux États-Unis, a quitté Ketchikan, en Alaska, à destination de Vancouver, en Colombie‑Britannique. Le remorqueur poussait un chaland-citerne vide, le DBL 55; ensemble, les deux navires formaient ce qu'on appelle un remorqueur-chaland articulé.
Peu après 1 h du matin, le 13 octobre, le remorqueur-chaland s'est échoué à l'entrée du passage Seaforth, environ 10 milles marins à l'ouest de Bella Bella. Après avoir subi le battement des vagues pendant plusieurs heures, la coque du remorqueur s'est rompue, déversant plus de 110 000 litres de diésel avant de finalement couler plus tard le même jour.
Le BST a appris en début d'enquête que l'officier de quart, seul à la passerelle au moment de l'accident, s'était involontairement endormi et avait raté un changement de cap prévu.
Aujourd'hui, nous publions notre rapport d'enquête sur cet événement et nous formulons deux recommandations. Premièrement, nous demandons que les officiers de quart reçoivent une formation obligatoire sur la réduction des risques associés à la fatigue due au manque de sommeil et soient sensibilisés à ces risques. Deuxièmement, nous recommandons que chaque propriétaire de navire mette en place un plan global de gestion de la fatigue adapté à ses activités.
Le BST reconnaît les inquiétudes que suscitent les risques de déversement d'hydrocarbures près des côtes canadiennes. Nous reconnaissons aussi la menace que ce déversement-ci représente pour les ressources naturelles qui se trouvent au sein du territoire traditionnel de la Première Nation Heiltsuk, et dont dépendent ses activités traditionnelles, son économie et son identité culturelle. Même si l'étude des mesures d'intervention qui ont eu lieu le long de la côte Ouest dépasse le mandat du BST, nous avons analysé les premières interventions sur le lieu du déversement et avons constaté qu'il y avait des possibilités d'amélioration.
Je vous en dirai davantage dans quelques instants, mais d'abord, je vais céder la parole à Glenn Budden, l'enquêteur désigné. Il vous décrira en détail ce qui s'est passé cette nuit-là et le matin suivant, et vous expliquera ce que nous savons des causes à l'origine de cet événement.
Glenn Budden
À 23 h, le 12 octobre, environ deux heures avant l'événement, le second officier du Nathan E. Stewart s'est présenté à la timonerie pour prendre le relais du capitaine. Le capitaine est alors allé se coucher, laissant le second officier seul à la passerelle.
Le remorqueur-chaland traversait une zone faisant partie du Passage de l'Intérieur, une voie qui serpente entre les îles du littoral du Pacifique, en Colombie-Britannique. Les règlements du Canada exigent que l'équipage de tout navire qui traverse cette zone soit assisté d'un « pilote » – soit un marin de grande expérience, qui connaît bien les eaux locales – ou alors que cet équipage comprenne un officier de quart détenant une dispense de pilotage valide.
Sur le Nathan E. Stewart, le capitaine était le seul officier de quart à détenir une dispense de pilotage pour le Passage de l'Intérieur. En d'autres termes, une fois le capitaine parti se coucher, le navire n'était plus conforme aux exigences relatives à la dispense. De plus, le départ du capitaine laissait le second officier seul à la passerelle – alors même que les règlements du Canada et la procédure de l'entreprise exigent la présence d'au moins deux personnes à la passerelle « pendant les heures d'obscurité ».
Déjà fatigué au début de son quart de travail, le second officier n'avait probablement pas dormi depuis 11 heures – principalement parce que, comme les autres officiers de quart, il avait travaillé depuis deux jours et demi selon un horaire, plutôt exigeant, qui alterne six heures de quart et six heures de repos. Ce type d'horaire est bien connu pour perturber le cycle normal de veille et de sommeil, et pour limiter les possibilités d'un sommeil réparateur suffisant. Des études et des experts internationaux ont démontré les nombreuses lacunes que présente cet horaire.
En commençant son quart, le second officier s'est mis à l'aise en réglant son fauteuil et l'éclairage, en montant le chauffage et en faisant jouer de la musique douce. Peu après minuit, il a corrigé le cap, puis s'est endormi. Tout au long des 46 minutes suivantes, le remorqueur-chaland a filé sans changer de cap ni de vitesse, jusqu'à ce qu'il s'échoue sur un récif.
Après l'échouement, de nombreux organismes et ressources maritimes locaux, provinciaux et fédéraux sont intervenus, y compris le centre conjoint de coordination de sauvetage, des membres de la Première Nation Heiltsuk, la Garde côtière canadienne, et la GRC. Des navires de la Première Nation Heiltsuk, en particulier, ont été parmi les premiers à arriver sur les lieux, dès les premières lueurs du jour, pour prêter secours et alerter les membres de la communauté.
Entre-temps, le Nathan E. Stewart, bloqué sur le récif, subissait le battement répété des vagues. Après avoir subi ce battement pendant plusieurs heures, la coque du remorqueur s'est rompue, déversant plus de 110 000 litres de diésel. À 9 h, la poupe du navire était enfoncée sous la ligne de flottaison, et à 19 h, elle avait coulé, entièrement remplie d'eau.
Le chaland vide s'est détaché et a été remorqué plus tard.
En ce qui concerne les interventions sur le lieu du déversement, l'enquête du BST a révélé deux choses en particulier. Premièrement : au tout début de l'intervention, certains organismes connaissaient peu le système de commandement des interventions, ce qui a entraîné une confusion quant au rôle et aux responsabilités respectifs des divers organismes présents, et quant à savoir qui avait l'autorité finale. Deuxièmement, une fois les opérations terminées, il n'y a eu aucune évaluation coordonnée ou exhaustive de la part des intervenants – ce qui signifie qu'on a raté l'occasion de déterminer ce qui pourrait être amélioré à l'avenir, dans l'éventualité d'un autre incident du genre.
Pour faire état des mesures qui devraient être prises selon le BST, je redonne maintenant la parole à Kathy Fox.
Kathy Fox
Le sommeil est un besoin physiologique fondamental; quand ce besoin n'est pas comblé, on ressent de la fatigue.
Les enquêtes du BST ont identifié la fatigue comme étant un facteur causal ou contributif de nombreux incidents maritimes remontant jusqu'à 1993. Au moment de l'échouement du Nathan E. Stewart, les officiers de quart travaillaient depuis 2 jours et demi en alternant 6 heures de travail et 6 heures de repos. Même s'il avait eu des occasions de dormir, le second officier avait été incapable de faire la sieste en après-midi, comme il en va pour la plupart des gens. La fatigue combinée avec l'ambiance assoupissante de la passerelle et l'absence de compagnie a fait en sorte qu'il s'est endormi involontairement pendant son quart.
Même si différentes études et différents experts internationaux ont remis en question ce type d'horaire, il continue d'être couramment utilisé dans le secteur maritime. Il est donc impératif que les propriétaires de navire et les officiers de quart soient sensibilisés aux facteurs qui contribuent à la fatigue, et qu'ils prennent les mesures nécessaires pour y remédier.
Le Règlement sur le personnel maritime de Transports Canada, qui vise à réduire les risques de fatigue, exige un minimum de périodes de repos au cours d'un intervalle donné. Il faut toutefois en faire davantage.
Il est déjà assez difficile d'alterner 6 heures de quart et 6 heures de repos sur plusieurs jours sans avoir le bénéfice d'une bonne nuit de sommeil. Cela est encore plus pénible si on ne dispose pas des moyens pour reconnaître et combattre la fatigue qu'entraîne inévitablement cet horaire.
Si les officiers de quart sont en mesure de mieux comprendre la fatigue, les facteurs qui la causent, et les mesures concrètes qu'ils peuvent prendre pour l'éliminer ou en réduire les effets, alors on pourrait constater une réduction considérable du nombre d'événements maritimes liés à la fatigue.
C'est pourquoi le BST recommande que Transports Canada exige que les officiers de quart dont les périodes de travail et de repos sont régies par le Règlement sur le personnel maritime reçoivent une formation pratique sur la fatigue, afin de mieux reconnaître et atténuer les risques de fatigue.
La sensibilisation et la formation sont primordiales, mais il ne s'agit là que des premières mesures à prendre. Car les propriétaires de navires – soit les personnes qui sont principalement responsables de la gestion des risques à bord de leurs navires – doivent aussi adopter un plan clair et réfléchi pour gérer la fatigue.
Dans le secteur ferroviaire du Canada, la fatigue est connue et bien documentée comme un facteur de risque depuis plus de trente ans. Le secteur canadien de l'aviation a aussi commencé à prendre des mesures pour améliorer la gestion de ce risque. Dans le secteur maritime, d'autres mesures sont nécessaires pour prévenir la fatigue de façon fiable et efficace.
Il faut adopter des plans officiels de gestion de la fatigue – des plans adaptés aux difficultés et aux risques du contexte opérationnel auquel chaque propriétaire de navire fait face. Pour cela, il faut aller au-delà des règlements actuels, et concevoir des stratégies concrètes et des pratiques en matière d'horaires qui intègrent les principes modernes de gestion de la fatigue.
C'est pourquoi nous recommandons que Transports Canada oblige les propriétaires de navires qui emploient des officiers de quart dont les périodes de travail et de repos sont régies par le Règlement sur le personnel maritime à mettre en œuvre un programme de gestion de la fatigue complet et adapté à leurs activités, afin de réduire les risques de fatigue.
Merci.