Facteurs humains dans les accidents de train : de la conception à l’utilisateur final

Journée nationale du chemin de fer 2019
Edmonton (AB)
6 novembre 2019
Faye Ackermans — Notes d’allocution

Seul le texte prononcé fait foi.

Diapo 1 : Page titre

Bonjour,

Tous les deux ans, le BST publie sa Liste de surveillance pour mettre en lumière les problèmes de sécurité persistants du réseau de transport canadien qui nécessitent une intervention. Le mois de novembre 2019 marque la mi-parcours de la Liste de surveillance 2018, la prochaine devant être publiée en 2020. Nous examinons déjà des changements que nous pourrions apporter à la prochaine édition de cette liste. Nous encourageons le secteur ferroviaire, au cours des prochains mois, à nous faire part de ses commentaires et observations sur la Liste de surveillance actuelle, ainsi que sur les enjeux qui, selon lui, devraient être inclus dans la prochaine édition, renseignements et données à l’appui.

Si je suis avec vous aujourd’hui, c’est pour amorcer en partie la même conversation avec les fabricants de pièces, et pour vous faire part de certaines de nos préoccupations actuelles.

Diapo 2 : Aperçu

Diapo 3 : BST 101

Diapo 4 : Voyez-vous une différence?

Voici les micro-ondes dans la salle des repas à l’Administration centrale du BST. Deux d’entre eux fonctionnent exactement de la même manière, mais le troisième est entièrement différent. Lorsqu’ils le peuvent, certains employés choisissent l’un des deux qui fonctionnent de la même façon. En outre, l’utilisation du troisième exige souvent plusieurs tentatives, donne lieu à des grommellements, et parfois, à des conseils d’autres employés dans la pièce.

Je pose donc la question : pourquoi la conception de cet appareil — l’interface homme-machine — n’est-elle pas un peu plus intuitive?

Diapo 5 : Accidents de trains en 2018 (par cause)

En parlant de cette interface, l’élément « humain » revient souvent quand on examine les causes des accidents de train au Canada.

Voici trois graphiques, chacun montrant les catégories causales d’accidents de train en 2018 : accidents de train en voie principale (collisions et déraillements), collisions de train en voie non principale, et déraillements de train en voie non principale.

On dénombre cinq principaux groupes de causes : matériel roulant, voie, environnement, « autre » et, bien sûr, « action humaine ».

Devinez lequel est le plus fréquent? Eh oui, l’« action humaine » — et de tous les types : gestes posés par les conducteurs, erreurs de formation de trains, chargements mal arrimés, etc. En fait, une « action humaine » a été en cause dans 31 % des accidents de train en voie principale, dans plus de 90 % des collisions de train en voie non principale, et dans 50 % des déraillements de train en voie non principale.

Il y a tellement de formes d’action humaine qui précèdent immédiatement un accident, que le secteur ferroviaire, y compris les fabricants de pièces, doit prendre un peu de recul pour examiner ces événements en tenant compte des raisons pour lesquelles les gens agissent comme ils le font. Les causes « immédiates » comprennent entre autres la mauvaise orientation d’un dérailleur ou d’un aiguillage, l’omission de protéger l’avant d’un mouvement, l’absence d’entretien du matériel roulant, des vitesses inadéquates, l’utilisation incorrecte du matériel roulant, et ainsi de suite. Mais il ne suffit pas de cerner les causes « immédiates »; il faut aussi comprendre les problèmes sous-jacents – qu’il s’agisse de fatigue, de distraction, de mauvaise communication, d’expérience, de formation, de supervision, de conception du système, de pressions au travail, de culture de sécurité, etc.

Enfin, il faut concevoir et mettre en place des mesures de sécurité pour atténuer ces problèmes sous-jacents.

Donc… que peut faire le secteur des fabricants de pièces ferroviaires en ce sens? Examinons ensemble quelques possibilités. Tout d’abord, nous allons examiner un vieil accident qui s’est produit il y a plus de 20 ans. Accident qui, soit dit en passant, résonne encore à ce jour.

Diapo 6 : Conception et formation : pourquoi elles vont de pair

Quand on conçoit — ou conçoit de nouveau — des systèmes, quelle formation est nécessaire pour faire en sorte que les conducteurs humains comprennent ce qui se passe et réagissent de façon appropriée?

Le 2 décembre 1997, 66 wagons d’un train du Canadien Pacifique (CP) ont déraillé pendant une descente non contrôlée à grande vitesse dans un tronçon escarpé de la subdivision de Laggan appelé « Field Hill ». Aucun des trois membres de l’équipe de train n’a été blessé. Le mécanicien de locomotive (ML) avait relativement peu d’expérience — 14 ans comme chef de train, mais seulement un an comme ML « de relève ». Au cours des six mois précédents, il avait conduit des trains vers l’ouest sur la subdivision de Laggan à 25 reprises, mais pour un seul de ces trajets avait-il été aux commandes d’une locomotive GE. Il n’avait eu que 2,5 heures de sommeil au cours des 29 heures précédentes. Une série de décisions peu opportunes relatives à l’exploitation du train a causé la perte de la réserve d’air dans le circuit de freinage du train. Cependant, le matériel roulant ainsi que l’interaction entre l’humain et la machine ont également été des facteurs.

La discussion d’aujourd’hui portera sur l’utilisation d’une procédure de rétablissement de la commande pneumatique pour actionner les freins rhéostatiques.

Diapo 7 : Conception et formation (suite)

Le train a effectué un freinage d’urgence.

On a ensuite décidé de réalimenter le circuit d’air pendant la descente en utilisant le frein rhéostatique.

Le ML a employé une pratique courante — et non les instructions d’exploitation de la compagnie — pour rétablir la commande pneumatique, soit :

  • Déplacer le manipulateur (manipulateur/manette du freinage rhéostatique) de la position « IDLE » (ralenti) à la position « DB applied » (serrage du frein rhéostatique).
  • Attendre 60 secondes.
  • Déplacer la poignée du frein automatique du train de la position « EMERGENCY » (urgence) à la position « RELEASE » (desserrage).

Or, les instructions de la compagnie étaient les suivantes :

  • S’assurer que le manipulateur est à la position « IDLE » et que la poignée du frein automatique est à la position « EMERGENCY ».
  • Attendre 60 secondes.
  • Mettre la poignée du frein automatique à la position « RELEASE », en faisant une courte pause à la position « HANLDE OFF » (retrait de la poignée).

La pratique courante n’empêchait pas le rétablissement de la commande pneumatique sur les locomotives GM, mais elle ne fonctionnait pas sur les locomotives GE, comme celle qui tirait le train. Par conséquent, l’utilisation du freinage rhéostatique n’a pas fonctionné.

Quels indicateurs montraient au ML que les freins rhéostatiques ne fonctionnaient pas? Le voyant lumineux « PCS Open » était allumé sur fond blanc. Pourtant, ce voyant n’a pas suffisamment attiré l’attention du ML pour que ce dernier se rende compte du problème.

Diapo 8 : Conception et formation (suite)

Regardez les 3 images à l’écran :

Coin supérieur gauche : pupitre de commande de la locomotive GE AC 4400 [avec écran d’affichage à fonctions intégrées (IFD) dans le coin supérieur gauche]

Coin supérieur droit : illustration de l’écran IFD AC 4400 immédiatement avant le desserrage des freins d’urgence. À noter que le voyant « PCS Open » est allumé.

Bas : illustration de l’écran IFD AC 4400 immédiatement après le desserrage des freins d’urgence. Remarquez que la vitesse a augmenté et que le voyant « PCS Open » est encore allumé, ce qui indique que l’on n’a pas repris la maîtrise de la puissance et du frein rhéostatique.

Voici certains des faits établis par le BST dans son rapport :

  • Le système de commande du rétablissement de la commande pneumatique (PC) a été construit d’après une spécification de la locomotive GE que le CFCP a acceptée sans connaître les conséquences de l’application d’une méthode non approuvée de rétablissement de la PC.
  • Ces systèmes n’ont pas été conçus pour signaler de façon impérieuse au mécanicien qu’une erreur a été commise, et n’indiquaient pas clairement la façon de corriger l’erreur.
  • La formation fournie aux mécaniciens n’a pas permis de s’assurer qu’ils avaient une compréhension ou une compétence suffisantes dans l’emploi de l’écran de l’IFD des locomotives […] ou d’autres systèmes qui diffèrent entre les locomotives GM et GE.

Le Bureau avait établi que le dispositif de rétablissement de la commande pneumatique et l’affichage des fonctions intégrées de la locomotive n’ont pas été conçus avec un niveau suffisant de tolérance des erreurs. De plus, la formation et la supervision assurées par la compagnie n’ont pas permis de garantir que le mécanicien avait des connaissances et une compréhension suffisantes de tous les aspects du fonctionnement de la locomotive GE AC 4400.

Autrement dit, il incombe au fournisseur de s’assurer que l’exploitant comprend les fonctionnalités du concept et de recommander toute formation essentielle et des instructions d’utilisation.

Les conséquences de la conception fautive de logiciels du Boeing 737 Max se poursuivent à ce jour. J’estime que la citation suivante, extraite d’une audience tenue le 28 octobre 2019 par le comité sénatorial du commerce aux États-Unis, vaut la peine d’être répétée. Le président du comité, Roger Wicker, a dit : « … il est impératif qu’à l’avenir, l’industrie s’assure que l’interaction entre les exploitants humains et les technologies soit sans heurts ».

Diapo 9 : Interface homme-machine

J’aurais pu aussi bien intituler cette diapositive « D’où l’utilité des voyants lumineux et des alarmes sonores ».

Pourquoi?

Parce que les humains sont de très mauvais « surveillants » de systèmes. Par conséquent, il faut que l’information soit portée à leur attention — par exemple, par des voyants lumineux, des changements de couleur ou des sons.

L’expression « perceptibilité cognitive » signifie l’importance et la pertinence de l’information dans le contexte d’un conducteur. Pour qu’un conducteur puisse détecter les indices visuels les plus importants dans un cas particulier, il doit être en mesure de les distinguer facilement des autres indices moins importants. Ces renseignements importants pour la sécurité ne doivent pas être masqués, et leur efficacité ne doit pas être affaiblie par la présence d’autres indices plus perceptibles.

La question que je pose aujourd’hui est donc la suivante : quels aspects des systèmes informatisés de commande de locomotive doivent être repensés pour aller au-delà de la simple présentation d’information et aussi fournir un avertissement ou une alarme en cas d’anomalie?

Le rôle de concepteur de système n’a rien de facile. Même si le BST estime que les systèmes d’affichage de locomotive doivent être améliorés pour attirer l’attention des conducteurs sur l’information importante, il se peut que trop d’alarmes sonores et de voyants lumineux soient distrayants, en particulier dans une situation d’urgence.

La conception de systèmes avec interface homme-machine n’est qu’un seul des aspects des accidents de train causés par l’action humaine. Quels sont les autres? Par exemple, comment pourrions-nous aider les employés à maintenir leur conscience de la situation? Examinons ensemble la diapositive suivante.

Diapo 10 : Aiguillages

Il peut arriver qu’une tâche que l’on effectue des milliers de fois ne soit pas toujours bien faite, par exemple, l’orientation d’un aiguillage. Depuis que je suis membre du Bureau, le BST a publié deux rapports d’enquête où un employé avait orienté un aiguillage et s’était éloigné à pied, avant d’être happé par-derrière et tué par un mouvement. L’un d’eux était un stagiaire. L’autre était un vétéran avec plus de 20 ans d’expérience.

Diapo 11 : Aiguillages (suite)

Certaines compagnies de chemin de fer mettent en place cette solution simple pour indiquer plus clairement l’orientation d’une voie.

Diapo 12 : Point de dégagement

Voici un autre exemple d’une solution simple. Le CN marque le point d’obstruction dans ses triages pour aider les employés à comprendre où positionner le matériel roulant de manière à prévenir les prises en écharpe et les collisions.

Diapo 13 : Enjeu de la Liste de surveillance : Respecter les indications des signaux ferroviaires Réfléchissez à cet enjeu de la Liste de surveillance : respecter les indications des signaux ferroviaires

Comme je l’ai dit plus tôt, la surveillance des systèmes n’est pas le point fort des humains. Pourtant, c’est précisément ce qu’on attend des mécaniciens de locomotive : voir, comprendre et prendre les mesures appropriées chaque fois que leur train approche d’un signal automatisé sur leur itinéraire. De plus, il y a souvent des restrictions de marche en route (par exemple, des limitations de vitesse) qui nécessitent des mesures pour ralentir le train.

Alors, comment s’attendre à ce que des humains exécutent ces tâches sans faute, quand cela n’est pas leur point fort? La question plus juste serait : pourquoi s’attendre à ce que les humains deviennent soudainement meilleurs pour exécuter une tâche qui leur est difficile d’accomplir correctement? Et comment les aider à devenir meilleurs?

Diapo 14 : À venir...

Voici une image d’un écran d’exploitation du système Trip Optimizer (TO).

De nouveaux systèmes, comme TO, commencent à résoudre certains de ces enjeux, mais le secteur ferroviaire au Canada n’a pas adopté volontiers ces types de systèmes de commande de train que l’on utilise ailleurs dans le monde pour faciliter le travail des mécaniciens de locomotive.

Lorsqu’on met en place de nouvelles technologies, il est important d’évaluer leurs risques inhérents de même que les risques liés à leur intégration aux opérations existantes. L’évaluation de ces risques permet à l’entreprise de gérer les répercussions sur la sécurité de l’exploitation en mettant en place les mesures d’atténuation qui s’imposent. Ces mesures peuvent comprendre des modifications conceptuelles ou la mise à jour de la formation, des procédures et des tâches.

Diapo 15 : Conclusions

Depuis plusieurs années, le secteur ferroviaire s’est concentré sur la réduction du nombre d’accidents de train grâce à des solutions axées sur la technologie ciblant principalement l’infrastructure et les défaillances de matériel roulant, qui étaient les principales causes d’accidents de train en voie principale. À l’heure actuelle, l’élément « humain » est la plus importante cause de tous les accidents de train. La hausse du nombre d’accidents causés par l’action humaine pourrait être en partie attribuable à la récente augmentation appréciable du personnel d’exploitation. Or, au lieu de voir ces néophytes comme la cause, il vaudrait mieux se servir des accidents pour comprendre comment protéger les systèmes contre les erreurs commises par des personnes — même les plus expérimentées.

Diapo 16 : Pour nous joindre

Diapo 17 : Des questions?

Diapo 18 : Mot-symbole Canada