Communications de sécurité liées à l’enquête R19C0015 Mouvement non contrôlé de matériel roulant et déraillement de train mortel près de Field (Colombie-Britannique)
L’événement
Le 4 février 2019, le train de marchandises numéro 301-349 de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP), exploité par une équipe de relève, a déraillé sur Field Hill, près de Field (Colombie-Britannique), sur une section de voie de 13,5 milles présentant une pente descendante abrupte (pente moyenne de 2,2 %) et plusieurs courbes prononcées. Les 3 membres de l’équipe—un mécanicien de locomotive, un chef de train et un chef de train stagiaire—ont été mortellement blessés.
Recommandations formulées le 31 mars 2022
Réduction du risque de mouvements non contrôlés par la mise en œuvre d’exigences visant l’entretien périodique des cylindres de frein
Dans l’événement à l’étude, les cylindres de frein des wagons de marchandises perdaient de l’air comprimé, situation aggravée par l’âge et l’état des cylindres, et par la température extrêmement froide (la température ambiante était de l’ordre de −25 °C à −28 °C), ce qui réduisait la capacité de freinage du système de freins à air automatique du train. D’après les essais réalisés après l’événement, on a déterminé que l’efficacité des freins à air d’environ 50 % des wagons du train à l’étude était réduite pendant la descente initiale de Field Hill et, par conséquent, un serrage d’urgence des freins était nécessaire. Compte tenu de la température extrêmement froide et du temps pendant lequel les wagons du train sont restés immobiles avec les freins serrés à Partridge, le taux de fuite aux cylindres de frein de certains wagons était probablement excessif. Par conséquent, environ 3 heures plus tard, les freins ne pouvaient plus garder le train immobilisé et ce dernier a commencé à rouler de lui-même.
La fuite d’air comprimé des composants du système de freins à air est un problème fondamental par températures ambiantes froides. Les fuites des freins à air augmentent habituellement lorsque la température chute et peuvent devenir assez importantes par froid extrême (à −25 °C ou moins). De nombreux joints d’étanchéité et garnitures dans le système de freins à air sont faits de caoutchouc ou d’un matériau composite. Les effets des températures froides sur le caoutchouc peuvent varier en fonction de sa composition, de son âge et de son usure. En outre, on sait de façon générale que les températures froides réduisent la résilience de rebondissement, rendant le caoutchouc plus rigide et moins efficace pour prévenir les fuites. C’est particulièrement vrai pour les composants des freins à air en service depuis longtemps, comme les joints d’étanchéité du distributeur, des joints en coupelle du cylindre de frein et des joints à bride de la conduite générale.
Une fuite au cylindre de frein des wagons peut être particulièrement problématique lors de la descente d’une longue pente abrupte, parce qu’une pression au cylindre de frein suffisante est nécessaire pendant une période prolongée pour maintenir la vitesse du train. Descendre la pente de 13,5 milles de Field Hill à 15 mi/h exige que les freins à air restent serrés et fournissent une force retardatrice de freinage constante pendant plus de 52 minutes.
Pour atténuer le risque que les cylindres de frein des wagons de marchandises développent des fuites d’air excessives, il est essentiel que les cylindres de frein soient régulièrement mis à l’essai et entretenus. Toutefois, il n’existe dans le secteur ou la réglementation aucune exigence particulière quant à l’entretien régulier des cylindres de frein des wagons de marchandises.
L’historique de réparation des 112 wagons du train à l’étude indiquait qu’il y avait eu un remplacement ou un entretien de cylindre de frein sur 23 wagons (20,5 %) au cours des 5 années précédentes en raison de l’échec d’un SCT.
Les fuites au cylindre de frein demeurent au deuxième rang des causes d’échec au SCT, derrière les défaillances du distributeur de wagon.
Le secteur ferroviaire s’est penché sur le problème des fuites au cylindre de frein. En 2011, le comité sur les systèmes de frein (Brake Systems Committee) de l’Association of American Railroads (AAR) a proposé de réduire de moitié le taux maximal acceptable de fuite au cylindre de frein pendant un SCT périodique, un essai qui permet de vérifier le fonctionnement prévu des freins du wagon et de garantir, entre autres, que les freins restent serrés et ne présentent pas de taux de fuite supérieurs aux taux permissibles.
D’après la norme S-486 de l’AAR , la limite maximale acceptable de fuite au cylindre de frein lors d’un SCT est de 1 lb/po2 par minute. À ce taux de fuite, le train à l’étude aurait perdu 52 lb/po2 de pression au cylindre de frein pendant la descente de Field Hill, ce qui représente une perte de 81,3 % de la capacité de freinage. Près du bas de la pente, la pression au cylindre de frein restante du train aurait été équivalente à un serrage des freins par réduction minimale de la pression (7 lb/po2), ce qui aurait été insuffisant pour permettre au train de rester en deçà de la vitesse maximale permise de 15 mi/h. Par comparaison, si le taux de fuite maximal acceptable proposé de 1 lb/po2 par 2 minutes était adopté, un train descendant Field Hill conserverait assez de pression au cylindre de frein pour effectuer toute la descente à 15 mi/h avec un seul serrage supplémentaire des freins pour compenser la fuite.
La proposition du comité sur les systèmes de frein de l’AAR n’a pas été acceptée. Le secteur estimait que cette révision de la norme n’était pas nécessaire pour l’ensemble de l’Amérique du Nord, principalement en raison de la nature régionale du problème : le taux de fuite maximal plus rigoureux n’est nécessaire que pour descendre des pentes abruptes en hiver par températures froides.
Par le passé, les cylindres de frein devaient régulièrement subir une remise en état de type nettoyage, graissage, essai et marquage (COT&S), mais ces exigences ont été abandonnées par l’AAR en 1992 . Depuis, l’approche de l’entretien des cylindres de frein adoptée par le secteur est devenue une approche d’entretien préventif volontaire ou « d’utilisation jusqu’à la défaillance ». Cependant, comme l’a montré l’événement à l’étude, en l’absence d’entretien périodique planifié, les fuites au cylindre de frein peuvent compromettre l’exploitation sécuritaire d’un train lorsqu’un serrage soutenu des freins est nécessaire, en particulier par températures froides.
Les exigences en matière de COT&S avaient également été abandonnées pour les distributeurs de wagon en 1992. Cependant, à la suite d’un événement survenu le 10 janvier 2018 à l’embranchement industriel de Luscar à Leyland (Alberta), au cours duquel un train de marchandises est parti à la dérive en descendant une pente en terrain montagneux , et en réaction à de nombreux autres événements survenus au Canada et aux États-Unis, l’AAR a révisé sa position et a apporté des changements aux règles de façon à rétablir un calendrier de COT&S pour les distributeurs de wagon dans certaines circonstances . L’AAR a défini les conditions dans lesquelles les distributeurs de wagon devraient être remplacés en raison de leur âge et de l’exposition à des conditions de service par températures froides. Cette nouvelle exigence s’applique aux wagons de marchandises exploités en hiver au nord du 37e parallèle et qui sont équipés de distributeurs dont la dernière date de COT&S remonte à plus de 13 ans.
Les cylindres de frein sont également sujets à un déclin du rendement après de longues périodes passées en service sans entretien, notamment sans lubrification et remplacement des joints et garnitures de caoutchouc essentiels à la sécurité. Toutefois, contrairement aux exigences en matière de COT&S qui ont récemment été rétablies pour les distributeurs, il n’existe aucune exigence de l’AAR concernant l’entretien ou le remplacement des cylindres de frein sur les wagons de marchandises à intervalle fixe.
Des fuites excessives aux cylindres de frein des wagons de marchandises sur des pentes descendantes abruptes par températures ambiantes froides augmentent le risque d’une perte de maîtrise due à une capacité de freinage dégradée. Les mouvements non contrôlés d’équipement ferroviaire, quoique rares, sont des événements qui peuvent engendrer des situations très risquées aux conséquences potentiellement catastrophiques.
Lorsqu’un train descend une longue pente par températures froides, où les freins doivent être serrés pendant une longue période, comme sur Field Hill, si les cylindres de frein fuient à un taux de 1 lb/po2 par minute (la limite maximale acceptable précisée dans la norme S-486 de l’AAR), il y a un risque que les fuites au cylindre de frein rendent le système de freins à air inefficace. Pour empêcher les mouvements non contrôlés dans ces situations, les limites de fuites au cylindre de frein doivent être fixées à des niveaux maximum acceptables plus rigoureux.
Afin d’atténuer le risque que les wagons de marchandises développent des fuites excessives aux cylindres de frein, il est essentiel que les cylindres de frein fassent l’objet d’un entretien régulier et axé sur le temps.
Si TC et le secteur ferroviaire ne prennent aucune mesure pour prévenir les fuites excessives aux cylindres de frein des wagons de marchandises, le risque d’une perte de maîtrise due à une capacité de freinage insuffisante subsistera, risque qui augmente sur des pentes descendantes abruptes, en particulier par températures ambiantes froides. Par conséquent, le Bureau recommande que
le ministère des Transports établisse des normes d’essai rigoureuses et des exigences de maintenance en fonction du temps pour les cylindres de frein des wagons de marchandises exploités sur des pentes descendantes abruptes par température ambiante froide.
Recommandation R22-01 du BST
Réduction du risque de mouvements non contrôlés par la mise en œuvre de la technologie de frein d’immobilisation en stationnement
Le problème des mouvements non contrôlés d’équipement ferroviaire n’est pas nouveau. Le BST souligne la nécessité de moyens de défense robustes pour empêcher les mouvements non contrôlés depuis 1996. Le 12 août de cette année-là, les 3 occupants de la cabine d’exploitation d’une locomotive ont été mortellement blessés lorsque leur train est entré en collision de face avec une rame de 20 wagons à la dérive près d’Edson (Alberta)Note de bas de page 1. Dans son rapport d’enquête, le BST a indiqué que les faits entourant cet événement soulevaient des préoccupations, notamment en ce qui concerne les moyens de défense secondaires contre les mouvements non contrôlés.
Ce problème est revenu à l’avant-plan en 2013 lorsque, le 6 juillet, un train à la dérive a déraillé au centre de la ville de Lac-Mégantic (Québec), détruisant le centre-ville et le principal quartier d’affaires et causant la mort de 47 personnesNote de bas de page 2. Dans son rapport d’enquête, le BST a indiqué que les cas de matériel parti à la dérive sont peu probables et peuvent avoir des conséquences extrêmement graves, et que le coût en matière de vies humaines et de répercussions sur nos communautés peut être incalculable. Pour cette raison, le Bureau avait recommandé que
le ministère des Transports exige que les compagnies ferroviaires canadiennes mettent en place des moyens de défense physiques additionnels pour empêcher le matériel de partir à la dérive.
Recommandation R14-04 du BST
Depuis, la tendance du nombre de mouvements non contrôlés est en hausse. En 2014, l’année après l’accident de Lac-Mégantic, il y a eu 59 événements; en 2019, il y en a eu 78, y compris l’événement à l’étude. Les mouvements imprévus ou non contrôlés d’équipement ferroviaire demeurent un enjeu d’actualité qui figure sur la Liste de surveillance 2020 du BST, une liste d’enjeux qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.
Au cours des années qui ont suivi l’émission de la Recommandation R14-04, pour s’efforcer d’aborder ces préoccupations, TC a mis en œuvre plusieurs initiatives visant à renforcer et à clarifier les exigences du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF) qui régissent le serrage des freins à main. Ces initiatives comprenaient une révision de la règle 112 en 2015, qui a donné au secteur un tableau de serrage des freins à main complet pour composer avec diverses situations d’exploitation lors de l’immobilisation de matériel laissé sans surveillance.
Après l’événement survenu à Field, TC a encore une fois modifié le REF en y ajoutant des exigences concernant l’utilisation des freins à main. Il a instauré la règle 66 (Immobilisation du matériel roulant après un serrage d’urgence des freins en déclivité) pour l’immobilisation des trains arrêtés d’urgence dans des pentes raides et en terrain montagneuxNote de bas de page 3. La nouvelle règle comprend également un tableau de serrage des freins à main complet. Elle est entrée en vigueur le 24 juin 2020.
Un frein à main est un dispositif mécanique utilisé pour immobiliser l’équipement ferroviaire et prévenir les mouvements non contrôlés. Des freins à main sont installés sur tout le matériel roulant ferroviaire. Ils sont serrés à la main en faisant tourner le volant de frein à main. Cela presse les semelles de frein contre la table de roulement des roues afin de ralentir le mouvement des roues ou de les empêcher de bouger.
Afin de bien retenir un train avec les freins à main, il faut en serrer le bon nombre pour générer la force de freinage nécessaire.
Le tableau de serrage des freins à main de la règle 66 indique le nombre de freins à main qui doivent être serrés sur un train en fonction du tonnage du train et de la pente descendante. Par exemple, compte tenu du poids d’environ 15 000 tonnes du train à l’étude et de la pente moyenne de 2,2 % de Field Hill, pour respecter les exigences de la règle 66, il aurait fallu serrer 75 freins à main sur le train après qu’il se fut arrêté d’urgence.
Plusieurs facteurs peuvent toutefois réduire l’efficacité des freins à main, en particulier un faible couple de serrage (la quantité de force exercée par l’opérateur sur le volant de frein à main), l’usure et la réduction du coefficient de frottement des semelles de frein par l’état du rail, comme la présence de neige ou de glace. Quand certains des freins à main d’un train ne sont pas pleinement efficaces, il faut serrer plus de freins à main pour obtenir la force de freinage nécessaire pour maintenir le train stationnaire.
En pratique, les opérateurs ne savent pas quelle force ils exercent sur le volant de frein à main, et les freins à main ne fournissent pas ce type de rétroaction. Les opérateurs ne savent pas non plus quel est le coefficient de frottement des semelles de frein ou si l’efficacité d’un frein à main est réduite par l’usure. Le seul moyen disponible pour déterminer si un nombre suffisant de freins à main a été serré est donc de réaliser un essai d’efficacité des freins à main. Cet essai consiste à desserrer les freins à air pour confirmer que le train ne commence pas à rouler. Si le train se met à rouler, il faut serrer davantage de freins à main et refaire l’essai. Dans les scénarios d’exploitation couverts par la règle 66, toutefois, cet essai n’est pas réalisable pour un train arrêté sur une pente raide ou en terrain montagneux. Dans ces circonstances, il serait très risqué de desserrer les freins à air, puisque le train pourrait commencer à rouler très rapidement et il peut ne pas être possible de l’arrêter à nouveau. Par conséquent, les opérateurs doivent se fier au nombre prédéterminé de freins à main exigé par la règle. Si certains des freins à main du train ne sont pas pleinement efficaces, ce nombre peut être insuffisant et il y a un risque de mouvement non contrôlé.
Le serrage des freins à main est une tâche longue et physiquement exigeante. Les opérateurs doivent monter sur le wagon en grimpant à l’échelle latérale, se placer de façon sécuritaire près du volant de frein à main, et faire tourner le volant dans le sens horaire pour tendre la chaîne avant d’exercer une force maximale sur la manivelle. Ils doivent ensuite descendre du wagon, marcher jusqu’au wagon suivant et répéter la manœuvre. Serrer un grand nombre de freins à main exige un effort soutenu sur plusieurs heures. Avec le temps et la fatigue, la force que les opérateurs peuvent exercer sur chaque volant de frein à main peut diminuer; avec un couple moindre, l’efficacité des freins à main diminue, ce qui exige de serrer davantage de freins à main.
Le tableau 28 montre combien de freins à main seraient nécessaires pour tenir un train de 15 000 tonnes sur une pente descendante de 2,2 %, en présumant d’un couple au serrage de 55 pieds-livres (la force que les participants à l’évaluation du rendement humain ont réussi à produire) et un coefficient de frottement de l’ordre de 0,3 à 0,4. En cas de fuites au cylindre de frein, il faudrait serrer un nombre de plus en plus grand de freins à main à mesure que la pression diminue. D’après ce tableau, les 75 freins à main exigés par la règle 66 seraient suffisants selon un coefficient de frottement de 0,39 et une pression aux cylindres de frein de 10 lb/po2.
Comme le montre le tableau, le nombre de freins à main nécessaire pour tenir un train varie considérablement en fonction de plusieurs variables sur lesquelles les équipes de train n’ont aucun contrôle.
Coefficient de frottement | Nombre de freins à main requis en fonction de la pression moyenne aux cylindres de frein | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
77 lb/po2** | 65 lb/po2 | 50 lb/po2 | 35 lb/po2 | 25 lb/po2 | 10 lb/po2 | 0 lb/po2 | |
0,30 | 42 | 40 | 46 | 55 | 67 | 102 | 162 |
0,31 | 40 | 39 | 44 | 53 | 64 | 98 | 156 |
0,32 | 39 | 37 | 43 | 51 | 62 | 95 | 151 |
0,33 | 37 | 36 | 41 | 50 | 60 | 92 | 146 |
0,34 | 36 | 35 | 40 | 48 | 58 | 88 | 141 |
0,35 | 35 | 34 | 38 | 46 | 56 | 86 | 136 |
0,36 | 34 | 33 | 37 | 45 | 54 | 83 | 132 |
0,37 | 33 | 32 | 36 | 44 | 52 | 80 | 128 |
0,38 | 32 | 31 | 35 | 42 | 51 | 78 | 124 |
0,39 | 31 | 30 | 34 | 41 | 49 | 75 | 120 |
0,40 | 30 | 29 | 33 | 40 | 48 | 73 | 116 |
* Les chiffres dans ce tableau présument d’un rapport net de freins à main de 6,5 %.
** Une pression au cylindre de frein de 77 lb/po2 correspond à la pression après un serrage d’urgence des freins, lorsqu’il n’y a pas de fuite au cylindre de frein.
Il existe une technologie d’immobilisation des trains approuvée par l’AAR qui permet de retirer la plupart de ces variables de l’équation : les freins d’immobilisation en stationnement pour les véhicules ferroviaires, comme l’Automatic Park Brake (APB) de Wabtec et le ParkLoc de New York Air Brake (NYAB). La technologie de freins d’immobilisation en stationnement a été mise à l’essai et approuvée pour une utilisation sur les chemins de fer nord-américains, mais elle n’a pas été adoptée de façon généralisée.
Les freins d’immobilisation en stationnement sont des cylindres de frein munis d’un loquet automatique actionné mécaniquement qui verrouille le piston du cylindre au besoin, selon la pression restante dans la conduite générale. Quand la pression dans la conduite générale est épuisée (p. ex. après un freinage de service ou d’urgence), le système verrouille automatiquement le piston du cylindre de frein en position sorti, ce qui permet de conserver la force de freinage. Cela se produit sans intervention ou action particulière de l’équipe de train. Quand la pression dans la conduite générale recommence à augmenter, le système dégage automatiquement le verrou et rétracte le piston du cylindre de frein, ce qui enlève la force de freinage. Les freins d’immobilisation en stationnement peuvent être configurés pour être utilisés aussi bien avec des systèmes de frein montés sur bogie qu’avec des systèmes de frein montés sur châssis, et ils peuvent être installés en rattrapage sur les wagons de marchandises existants sans devoir modifier le système de freins à air.
Parce que les freins d’immobilisation en stationnement verrouillent le piston du cylindre de frein en position sur les wagons, leur efficacité ne dépend pas du couple de serrage et n’est pas affectée par les fuites au cylindre de frein. Les freins d’immobilisation en stationnement peuvent donc tenir un train sur une pente abrupte indéfiniment.
Les mouvements non contrôlés d’équipement ferroviaire, quoique rares, peuvent engendrer des situations très risquées aux conséquences potentiellement catastrophiques. Les enquêtes du BST sur les mouvements non contrôlés ont révélé que la séquence des événements comprend presque toujours une immobilisation inadéquate du train. TC a apporté plusieurs améliorations aux règles régissant le serrage des freins à main. Toutefois, même avec un ensemble complet de règles, il a été démontré au fil des ans qu’il ne suffit pas de compter uniquement sur l’application correcte des règles pour maintenir la sécurité dans un système de transport complexe. Le concept de « défense en profondeur » oriente la réflexion dans le monde de la sécurité depuis de nombreuses années. Le cumul des moyens de défense, ou la redondance en matière de sécurité, s’est avéré une approche fructueuse dans beaucoup de secteurs pour veiller à ce qu’une seule et unique défaillance n’entraîne pas des conséquences catastrophiques.
L’augmentation du nombre et de la qualité des moyens de défense administratifs n’a pas réussi à établir une redondance en matière de sécurité contre les mouvements non contrôlés. Jusqu’à maintenant, le secteur ferroviaire canadien et l’organisme de réglementation n’ont toujours pas cherché à aller au-delà du renforcement d’un moyen de défense administratif comme l’utilisation des freins à main.
Tant que des moyens de défense physiques comme les freins d’immobilisation en stationnement ne seront pas mis en œuvre dans tout le réseau ferroviaire canadien, le risque de mouvements non contrôlés dus à une immobilisation inadéquate des trains subsistera, en particulier sur les pentes abruptes où il est impossible de tester l’efficacité des freins à main. Par conséquent, le Bureau recommande que
le ministère des Transports exige que les chemins de fer de marchandises canadiens dressent et mettent en œuvre un échéancier d’installation de freins d’immobilisation en stationnement sur les wagons de marchandises, en priorisant l’installation en rattrapage sur les wagons utilisés dans les trains-blocs de marchandises en vrac exploités en terrain montagneux.
Recommandation R22-02 du BST
Gestion du risque par l’identification des dangers, l’analyse des tendances des données et l’évaluation des risques
Un système de gestion de la sécurité (SGS) est un cadre reconnu à l’échelle internationale qui permet aux compagnies de gérer les risques efficacement et de rendre les opérations plus sûres. Les évaluations des risques sont la pierre angulaire d’un SGS pleinement fonctionnel et efficace, et sont essentielles pour permettre à une compagnie de fonctionner en toute sécurité. Le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS) oblige les compagnies de chemin de fer à réaliser des évaluations des risques, notamment lorsqu’une préoccupation en matière de sécurité est mise en évidence. Toutefois, les dispositions réglementaires ne définissent pas ce qu’est une préoccupation en matière de sécurité, ce qui permet diverses interprétations.
Pour cerner les préoccupations en matière de sécurité, les compagnies de chemin de fer doivent analyser continuellement leurs activités, les tendances actuelles ou naissantes, et les situations récurrentes. Ces analyses sont fondées sur des renseignements comme les signalements par les employés de dangers pour la sécurité et les données des technologies de surveillance de la sécurité.
La procédure de signalement des infractions aux règles de sécurité, des risques pour la sécurité et des préoccupations liées à la sécurité du CP définit une préoccupation en matière de sécurité de la façon suivante :
Préoccupation liée à la sécurité : danger ou condition qui pourrait entraîner un événement non désiré qui présente
- une menace pour l’exploitation sécuritaire du chemin de fer ou qui pourrait réduire la sécurité des activités ferroviaires;
- un risque direct pour la sécurité des employés, de la propriété du chemin de fer, des produits transportés par le chemin de fer, le grand public ou des biens adjacents à la voie ferrée.Note de bas de page 4
Au moment de l’événement, la procédure du CP décrivait les situations dans lesquelles on devait signaler un danger pour la sécurité et effectuer une analyse pour cerner les préoccupations en matière de sécurité, les tendances actuelles ou naissantes, et les situations récurrentes. Elle indiquait également les étapes à suivre pour transmettre progressivement un enjeu de sécurité à l’échelon supérieur jusqu’à ce qu’il soit réglé. Cependant, l’enquête a révélé que le processus n’était pas toujours suivi, que les signalements de dangers n’étaient pas toujours cotés ou évalués, et que certains rapports étaient clos sans indication claire quant à la mesure corrective prise, ni aucune vérification à savoir si la mesure était en place ni si elle était efficace.
Avant l’événement à l’étude, des rapports sur les dangers pour la sécurité portant sur des trains-blocs céréaliers ayant eu des problèmes de freinage pendant la descente de Field Hill par températures froides en hiver avaient été présentés par des équipes de train en janvier et en février depuis nombre d’années. Bien que la procédure du CP relative au signalement des dangers pour la sécurité ait été activement suivie au terminal de Calgary, le processus de suivi était inefficace pour analyser les tendances. Le CP estimait que la tendance présentée par les signalements des dangers pour la sécurité ne constituait pas une « préoccupation en matière de sécurité » aux termes du Règlement sur le SGS ou de sa propre procédure de signalement des infractions aux règles de sécurité, des risques pour la sécurité et des préoccupations liées à la sécurité.
Les signalements individuels de ces dangers étaient clos, et pourtant de nouveaux rapports semblables continuaient d’être consignés dans le système de signalement. Malgré tout, d’année en année, les rapports relatifs au freinage médiocre des trains-blocs céréaliers sur Field Hill étaient clos, aucune évaluation des risques n’était effectuée et les mesures correctives prises étaient insuffisantes. Puisque la dégradation du rendement au freinage était un phénomène saisonnier touchant les trains-blocs céréaliers du CP par températures extrêmement froides, cette condition était devenue normalisée de sorte que l’on s’attendait à avoir besoin de la quasi-totalité du freinage disponible pour descendre Field Hill.
Par ailleurs, la surveillance par TC du comité de santé et de sécurité au travail de Calgary n’a pas permis de cerner le manque de mesures correctives à l’égard du rendement au freinage médiocre des trains-blocs céréaliers descendant Field Hill.
Le CP recueille les données des détecteurs de température des roues (WTD) sur son réseau. Ces détecteurs facilitent l’identification des wagons ayant des roues froides, qui sont un indicateur de mauvais rendement au freinage. Les données recueillies en hiver permettent à la compagnie de chemin de fer de surveiller la sensibilité à la température et le rendement des freins à air des wagons lorsqu’ils sont le plus susceptibles aux fuites. Les WTD sont une technologie de surveillance de la sécurité et, à ce titre, les données qu’ils fournissent doivent être analysées pour cerner les préoccupations en matière de sécurité, les tendances actuelles ou naissantes, ou les situations récurrentes. Toutefois, au moment de l’événement, le CP n’analysait pas activement les données disponibles et a raté l’occasion de cerner le danger et d’atténuer tout risque lié au rendement au freinage des trains céréaliers par température extrêmement froide.
Des évaluations des risques doivent être réalisées avant de mettre en œuvre des changements opérationnels susceptibles de créer de nouveaux dangers ou d’accroître la gravité des dangers existants. Au cours des années précédant l’événement, le CP a apporté plusieurs changements aux procédures d’exploitation de Field Hill, notamment au seuil de vitesse auquel les trains sont autorisés à descendre Field Hill de même qu’aux exigences en matière de robinets de retenue et de freins à main après un serrage d’urgence des freins. Le CP n’a réalisé aucune analyse des risques pour évaluer l’incidence de ces changements sur la sécurité.
Le Règlement sur le SGS exige que les compagnies de chemin de fer s’assurent que les employés exécutant des tâches essentielles à l’exploitation sécuritaire des chemins de fer (comme les chefs de train) ont les compétences et les qualifications nécessaires pour s’acquitter de leurs fonctions en toute sécurité. Toutefois, lorsque le CP a modifié son programme de formation pour les chefs de train qui travaillent sur la subdivision de Laggan, il n’a pas effectué une évaluation des risques posés par cette modification.
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Règlement sur le SGS en 2015, le BST a enquêté sur 11 événements, y compris l’événement à l’étude, dans lesquels des lacunes en matière d’identification des dangers, d’analyse des données pertinentes sur la sécurité ferroviaire ou d’évaluation des risques ont été cernées comme un facteur de risque. De ce nombre, 7 se sont produits pendant des opérations du CP.
Le Bureau a émis une recommandation au ministère des Transports concernant l’efficacité des SGS des compagnies de chemin de fer en 2014, à la suite de son enquête sur l’accident de juillet 2013 à Lac-Mégantic (Québec). Dans son rapport d’enquête, le Bureau a indiqué que jusqu’à ce que les compagnies de chemin de fer du Canada intègrent les SGS dans leur culture et que TC s’assure que les SGS ont été mis en œuvre d’une manière efficace, les avantages en matière de sécurité des SGS ne seraient pas réalisés. Le Bureau a recommandé que
le ministère des Transports effectue des vérifications des systèmes de gestion de la sécurité des compagnies ferroviaires assez poussées et assez fréquentes pour confirmer que les processus nécessaires sont efficaces et que des mesures correctives sont mises en œuvre pour améliorer la sécurité.
Recommandation R14-05 du BST
Depuis lors, TC a achevé ses vérifications exhaustives initiales de toutes les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale. À la suite de ces vérifications, TC a demandé l’établissement de plans de mesures correctives, le cas échéant, et a déclaré continuer de faire des suivis pour s’assurer que toutes les compagnies de chemin de fer ont pris des mesures correctives pour donner suite aux constatations. Dans sa réévaluation de mars 2021 de la réponse de TC, le Bureau a dit juger prometteurs les progrès réalisés par TC et attendre avec impatience de recevoir de l’information sur les constatations.
L’efficacité des SGS des compagnies de chemin de fer demeure préoccupante et figure sur la Liste de surveillance 2020 du BST, une liste des enjeux qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr. Comme l’indique la Liste de surveillance, les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale doivent avoir un SGS depuis 2001, et les exigences réglementaires ont été considérablement améliorées en 2015. Cependant, depuis lors, les SGS des compagnies n’ont pas réalisé les améliorations attendues en matière de sécurité associées à une gestion de la sécurité et une culture de sécurité bien établies, puisque le taux d’accidents de train en voie principale ne s’est pas amélioré. Le BST croit que les SGS des compagnies de chemin de fer ne permettent pas encore de cerner efficacement les dangers et d’atténuer les risques dans le secteur du transport ferroviaire. La gestion de la sécurité restera sur la Liste de surveillance du secteur de transport ferroviaire jusqu’à ce que les données sur la sécurité soient recueillies et analysées afin de déterminer de façon fiable l’évaluation des risques et l’atténuation des risques, ce qui permet d’améliorer la sécurité de façon mesurable.
Une culture de sécurité efficace comprend des mesures proactives pour cerner et gérer les risques d’exploitation. L’identification des dangers dans le cadre d’une évaluation des risques est essentielle pour cerner les mesures d’atténuation nécessaires et est à la base d’un SGS efficace.
Lorsque les dangers ne sont pas identifiés, que ce soit par les signalements, les analyses des tendances des données ou les évaluations de l’incidence des changements opérationnels, et lorsque les risques qu’ils posent ne sont pas rigoureusement évalués, des lacunes dans les moyens de défense peuvent ne pas être atténuées, ce qui augmente le risque d’accident. En fin de compte, ce sont les compagnies de chemin de fer elles-mêmes qui doivent s’assurer de mettre en place la culture, les processus et les procédures nécessaires pour permettre l’identification proactive des dangers, l’évaluation des risques et la mise en œuvre des stratégies d’atténuation. Cependant, TC a également la responsabilité de veiller à ce que les compagnies de chemin de fer non seulement respectent le Règlement sur le SGS, mais gèrent également les risques dans leurs opérations de manière efficace.
Tant que la culture de sécurité générale et le cadre du SGS du CP n’incluront pas des moyens de cerner les dangers de façon exhaustive, notamment par l’examen des rapports de sécurité et de l’analyse des tendances des données, et d’évaluer les risques avant d’apporter des changements opérationnels, le SGS du CP ne sera pas pleinement efficace. Par conséquent, le Bureau recommande que
le ministère des Transports exige que la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique démontre que son système de gestion de la sécurité permet de cerner efficacement les dangers résultant des opérations, en utilisant toute l’information disponible, comme les signalements de dangers par les employés et les tendances des données; qu’il évalue les risques connexes; et qu’il mette en œuvre des mesures d’atténuation et en valide l’efficacité.
Recommandation R22-03 du BST