Naufrage
Bateau de pêche «HILI-KUM»
Détroit d'Hecate (Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le «HILI-KUM» a appareillé d'un mouillage au large de l'île Moresby (C.-B.), avec une cargaison d'oursins rouges à destination de Port Edward (C.-B.). En cours de route, le temps s'est détérioré. Le 10 avril 1995, dans des vents de l'arrière de force de coup de vent à vent de tempête et une mer forte, le navire a embarqué d'importantes quantités d'eau sur le pont arrière, est venu sur cul et a coulé l'arrière en premier. Les trois membres de l'équipage ont abandonné le navire après avoir revêtu des combinaisons d'immersion et sont montés à bord d'un radeau de sauvetage. Deux des trois combinaisons d'immersion étaient défectueuses, et le radeau de sauvetage s'est retourné plusieurs fois. Deux des trois naufragés ont succombé à l'hypothermie et se sont noyés; le survivant a été recueilli environ cinq heures et demie plus tard.
Le Bureau a déterminé que le «HILI-KUM» avait pris la mer malgré la diffusion d'un avertissement de tempête, et qu'il faisait route dans des vents violents de l'arrière et une mer forte sans que le panneau d'écoutille de la cale à poisson soit fermé hermétiquement. L'effet cumulatif de grandes quantités d'eau de mer embarquées sur le pont arrière, du faible franc-bord du navire à l'arrière et de l'envahissement des compartiments sous le pont à l'arrière a provoqué l'enfoncement de l'arrière et l'élimination de la réserve de flottabilité du navire qui a coulé par l'arrière. La noyade subséquente de deux des trois membres de l'équipage, frappés d'hypothermie, est attribuable au mauvais état de leur combinaison d'immersion et au fait qu'ils ont été exposés à des conditions météorologiques rigoureuses lorsque le radeau de sauvetage s'est retourné.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique du navire
Nom | « HILI-KUM » |
---|---|
Numéro officiel | 171778 |
Port d'immatriculation | Victoria (C.-B.)Note de bas de page 1 |
Pavillon | Canadien |
Type | Bateau transporteur |
Jauge brute | 44 tonneauxNote de bas de page 2 |
Longueur | 14,2 m |
Équipage | 3 |
Construction | 1939, Alert Bay (C.-B.) |
Groupe propulseur | Moteur diesel 8 cylindres, 235 BHP, entraînant une hélice à pas fixe |
Propriétaire | Robert Cook Port Hardy (C.-B.) |
1.1.1 Renseignements sur le navire
Le bateau de pêche en bois «HILI-KUM» était un bateau de construction fermée, à bordé à franc-bord. La coque était divisée en trois compartiments étanches par des cloisons transversales placées à l'avant et à l'arrière de la cale à poisson. Le bloc emménagements/timonerie était situé à l'avant du milieu du navire et comprenait la cuisine, la cabine du patron et les toilettes. On accédait aux logements de l'équipage placés dans le gaillard d'avant en passant par la salle des machines. L'aire de travail se trouvait à l'arrière. Le navire était utilisé comme bateau transporteur au moment de l'accident. Derrière les emménagements, il y avait une cale à poisson et une cambuse. Du pont, on pénétrait dans la cambuse par un écoutillon étanche encastré dans le pont principal. Le compartiment était muni d'un tuyau par lequel l'eau s'écoulait directement dans les fonds du tunnel de l'arbre.
1.2 Déroulement du voyage
Une fois des réparations à la coque terminées, le «HILI-KUM» appareille de Shearwater (C.-B.), le 8 avril 1995. Plus tard le même jour, le navire arrive dans une petite anse sans nom près de Hot Springs, île Moresby, où il mouille l'ancre.
Le lendemain, le navire charge environ 14 000 kg d'oursins rouges dans la cale et sur le pont arrière, provoquant un enfoncement modéré de l'arrière. Il quitte ensuite son mouillage vers 22 hNote de bas de page 3 à destination de Port Edward, stabilisateurs déployés. Les conditions météorologiques et l'état de la mer ont été décrits comme médiocres : vents du sud-est de 35 noeuds (kn) avec des rafales à 45 kn et une mer de 2 à 3 m.
Vers 1 h 25, les vents ont atteint une vitesse de 45 kn avec des rafales à 50 kn, et on enregistre des vagues atteignant les 7 m. Le navire suit une route au 350 magnétique (M) et embarque de grandes quantités d'eau de mer sur le pont arrière.
L'équipage note un changement dans le mouvement du navire et se rend compte que l'arrière s'enfonce davantage dans l'eau. Apparemment, le patron met en marche les pompes de cale électriques à partir de la passerelle et il envoie le cuisinier-matelot (désigné dans le présent rapport sous le nom de cuisinier) chercher les combinaisons d'immersion à la salle des machines. Lorsque celui-ci entre dans la salle des machines, il ne voit pas d'eau dans les fonds.
Le cuisinier prend trois combinaisons d'immersion. Il en revêt une tandis que le patron et le matelot enfilent les autres. La fermeture-éclair de la combinaison du cuisinier fonctionne, mais les deux autres sont défectueuses.
Le cuisinier envoie un message MAYDAY à 1 h 28 sur la voie 16 du radiotéléphone très haute fréquence (R/T VHF) pour avertir le Centre des Services de communications et de trafic maritime (SCTM) de Prince Rupert que le navire embarque de l'eau à l'arrière à environ 20 milles à l'est-sud-est (ESE) de Sandspit.
Le patron et le matelot montent sur le toit de la cabine pour descendre le radeau pneumatique sur le pont avant. L'arrière du navire est alors à fleur d'eau.
Vers 1 h 52, le patron informe le Centre des SCTM que l'équipage du «HILI-KUM» và abandonner le navire dans un radeau pneumatique de six places, et il arrête la machine principale. Le cuisinier et le matelot prennent avec eux quelques signaux de détresse à main du navire et se rendent, eux aussi, jusqu'au radeau. Le patron tire sur la bosse pour gonfler le pneumatique, mais il doit recommencer à plusieurs reprises avant que le radeau ne se gonfle.
L'équipage met le radeau à l'eau et tous se jetent à la mer pour abandonner le navire. Ils se hissent ensuite à bord du radeau de sauvetage et coupent la bosse. Le radeau à la dérive s'éloigne du «HILI-KUM». Environ cinq minutes plus tard, soit vers 2 h 30, le navire coule par l'arrière.
Un peu plus tard, le radeau se retourne et les naufragés réussissent à sortir de la tente pour grimper sur le radeau renversé. Le patron et le matelot ne savent pas comment redresser le radeau, mais le cuisinier, qui a suivi une formation aux techniques de survie, y parvient sans aide. Il se hisse ensuite à bord et s'empresse d'aider les autres. Ceux-ci sont incapables de se retenir à la guirlande, et le radeau entraîné par les vents forts s'éloigne d'eux.
1.3 Recherches et sauvetage
En recevant le message MAYDAY, le Centre des SCTM a averti le Centre de coordination du sauvetage (CCS) de Victoria, déclenchant une opération de recherches et sauvetage (SAR) officielle. Au total, neuf aéronefs et six navires ont été mobilisés.
Tout au cours de la nuit, le cuisinier a aperçu sporadiquement les projecteurs des navires qui passaient près du radeau, mais sans réussir à attirer leur attention au moyen de fusées éclairantes à main. Le radeau de sauvetage s'est retourné plusieurs fois pendant la nuit, mais le cuisinier a réussi chaque fois à le remettre à l'endroit et à y remonter. Il a été recueilli par l'hélicoptère de secours américain «6021» à 8 h 15, le 10 avril 1995, et il a été transporté au Queen Charlotte City Hospital.
Les recherches se sont poursuivies et le corps du patron, toujours revêtu d'une combinaison d'immersion, a été repêché. Des unités SAR ont retrouvé une combinaison identique dans le même secteur peu après, mais le corps du matelot n'a pas été retrouvé.
1.4 Victimes
Équipage | Passagers | Tiers | Total | |
---|---|---|---|---|
Tués | 1 | - | - | 1 |
Disparus | 1 | - | - | 1 |
Blessés graves | - | - | - | - |
Blessés légers/Indemnes | 1 | - | - | 1 |
Total | 3 | - | - | 3 |
Lorsqu'il a été recueilli, le survivant souffrait d'épuisement et d'hypothermie, il avait le nez brisé, ainsi que des blessures mineures au cou et au dos. Il a été transporté à l'hôpital, soigné, puis renvoyé chez lui.
Une autopsie a révélé que le patron avait succombé à l'hypothermie et s'était noyé. Le matelot n'a pas été retrouvé et il est présumé noyé.
1.5 Certificats du navire
La Direction générale de la sécurité des navires de Transports Canada (TC), désormais TC Sécurité maritime, avait inspecté le «HILI-KUM» en mars 1992 et lui avait délivré un certificat d'inspection (SIC 29) valide pour une période complète et qui devait expirer en mars 1996. Le certificat limitait le navire à des voyages au cabotage de classe III, à une distance d'au plus 20 milles des côtes.
Au moment de la dernière inspection, l'expert maritime n'avait pas été informé par les propriétaires ni par leur représentant que le navire faisait eau et que les pompes de cale automatiques à flotteur fonctionnaient presque continuellement lorsque le navire faisait route dans une mer forte.
1.6 Formation et brevets du personnel
Les bateaux de pêche de moins de 100 tonneaux de jauge brute comme le «HILI-KUM» ne sont pas tenus d'avoir du personnel breveté à bord, et aucun membre de l'équipage n'était breveté.
À l'heure actuelle, les règlements n'obligent pas les membres d'équipage non brevetés d'un bateau de pêche à suivre le cours de Fonctions d'urgence en mer (FUM), lequel pourrait les renseigner, à l'aide du matériel pertinent, sur les techniques de sauvetage, d'abandon de navire, de lutte contre l'incendie et de secourisme. Le cuisinier avait suivi une formation sur les techniques de survie dans la Marine canadienne; les autres membres de l'équipage ne connaissaient pas les procédures d'urgence, et ils n'avaient pas suivi de formation FUM. En outre, aucun exercice d'urgence n'avait été organisé à bord du «HILI-KUM».
1.6.1 Antécédents du personnel
Le patron possédait 25 ans d'expérience dans l'industrie de la pêche. Il avait été propriétaire-patron de bateaux de pêche à la traîne et aux filets maillants pendant de nombreuses années. Il louait le «HILI-KUM» depuis janvier 1995.
Le cuisinier travaillait dans l'industrie de la pêche depuis 1992. Il s'agissait de son premier voyage sur le «HILI-KUM».
Le matelot disparu était un marin-pêcheur d'expérience qui pêchait avec le patron depuis bon nombre d'années. Il était sur le «HILI-KUM» depuis 1995.
1.7 Exigences en matière de stabilité
Le «HILI-KUM» n'avait pas été soumis à des essais de stabilité et aucune donnée de stabilité n'avait été préparée. Il n'existe aucune exigence réglementaire concernant la production de telles données. Il n'existait pas de données de stabilité d'autre provenance permettant de procéder à une analyse de la stabilité, et on n'a pas pu se procurer les plans du navire. Ce dernier était en service depuis 1939, et rien dans les archives ne permet de croire que sa stabilité n'était pas adéquate.
1.7.1 Cas récents d'envahissement du navire
Il existe des témoignages contradictoires concernant l'état du pont et de la coque du navire. Selon un chantier maritime où des réparations ont été faites en janvier 1995, la coque avait besoin d'un calfatage et d'un rechevillage, et le pont arrière devait être remplacé.
Un matelot qui avait travaillé sur le navire en février 1995 a déclaré que l'état général du «HILI-KUM» était médiocre : le pont n'était pas étanche, les pavois étaient branlants, et il y avait dans la coque une voie d'eau impossible à localiser.
Au début de mars 1995, le navire a connu de graves problèmes d'envahissement alors qu'il était à quai à Port Edward. Le patron, en se réveillant, a constaté qu'il y avait environ 30 cm d'eau dans les fonds de la salle des machines. Les fonds ont été asséchés, mais il a apparemment été impossible de trouver la voie d'eau.
Le 19 mars 1995, le navire a connu d'autres problèmes d'envahissement au large de l'île Banks (C.-B.) et on a ajouté des pompes à bord pour assécher les fonds. Par la suite, le navire a été amené en cale sèche à un autre chantier maritime où les coutures du pont ont été calfatées et enduites de «boatlife». Lorsque le navire a été renfloué, on n'a observé qu'une seule voie d'eau, au droit de l'arbre, qui était là depuis longtemps. Au même moment, on a installé une pompe d'assèchement actionnée par flotteur dans le tunnel de l'arbre.
On n'a jamais trouvé l'origine de la voie d'eau au droit de l'arbre, et le problème n'a donc jamais été corrigé.
1.7.2 Dossier de réparations
Selon les témoignages, le transport d'oursins sur le pont avait éraflé la peinture et endommagé superficiellement le calfatage du pont. Les propriétaires avaient songé à enduire le pont de fibre de verre afin de régler le problème.
Notamment, les réparations suivantes avaient été faites au navire :
- 1978 Réparation des bordages de coque et du brion.
- 1982 Calfatage de toute la coque et remplacement des machines.
- 1992 Remplacement de 12 bordages, y compris la fausse quille (Inspection du navire), recalfatage de la coque et réparation des canalisations de refroidissement de la quille.
- 1995 Remplacement du coussinet d'étambot; remplacement du gouvernail, de l'arbre et de l'hélice; recalfatage du pont; et recalfatage et rechevillage de la coque où cela s'imposait.
Les propriétaires n'ont pas informé TC Sécurité maritime des réparations effectuées en 1995. L'organisme de réglementation a été mis au courant de l'envahissement du navire. Le gérant de la Cove Island Boatworks a apparemment fait part du mauvais état du navire à un expert maritime de TC; toutefois, les dossiers de TC Sécurité maritime ne font nullement état d'un tel rapport et l'expert maritime ne se rappelle pas qu'on lui ait communiqué cette information. Le navire n'a pas été inspecté de nouveau.
1.8 Assèchement et doublage de la cale à poisson
En mai 1993, la cale du «HILI-KUM» a été divisée longitudinalement en deux compartiments isolés revêtus de fibre de verre afin de satisfaire aux exigences de la Fisheries Inspection Act . Pour enlever le surplus d'eau dans les cales, il fallait mettre en marche manuellement une pompe installée dans la salle des machines, à partir de la salle des machines ou du pont arrière.
1.9 Dispositif de fermeture du panneau d'écoutille
Pour fermer hermétiquement l'écoutille, on se servait d'un panneau conçu à cet effet et de tiges d'acier et de coins en bois permettant de condamner l'ouverture. Pendant le voyage à l'étude, on a utilisé deux feuilles de contre-plaqué pour recouvrir l'écoutille; on ne s'est pas servi du panneau d'écoutille, et la cale n'a pas été condamnée.
1.9.1 Étanchéité des ouvertures et de la coque
Toute brèche dans l'intégrité de l'étanchéité de la coque est désastreuse pour la navigabilité du navire, et de ce fait, compromet dangereusement la sécurité de l'équipage. Malgré la publication des Bulletins de la sécurité des navires nos 1/83, 4/87 et 16/92, il est encore pratique courante de ne pas fermer hermétiquement les ouvertures étanches. Le Bureau s'est déjà dit inquiet de cette situation et a recommandé que le ministère des Transports mette au point et prenne des mesures pour s'assurer que les intéressés reçoivent la formation voulue et disposent de procédures adéquates afin de préserver l'intégrité de l'étanchéité de la coque.Note de bas de page 4
1.10 Pompes de cale
Le navire était muni de sept pompes capables d'assécher les fonds, dont trois se mettaient en marche automatiquement. Des sept pompes, deux étaient hydrauliques, trois, électriques, une, à essence et une, manuelle.
1.11 Arrimage du chargement
Le navire a chargé environ 5 400 kg d'oursins dans la cale, et environ 8 600 kg sur le pont arrière. Les oursins étaient placés dans des sacs-filets pesant chacun entre 90 et 225 kg. Deux rangées d'oursins ont été arrimées l'une sur l'autre dans les cales à poisson, séparées par une feuille de contre-plaqué; la rangée supérieure étant recouverte d'une bâche en nylon pour la protéger de l'eau douce.
Le reste de la cargaison d'oursins a ensuite été chargé sur le pont arrière, en commençant par l'extrémité arrière (en allant vers l'avant) et jusqu'au milieu du panneau d'écoutille. Les oursins étaient arrimés jusqu'à une hauteur d'environ 1,8 m, et recouverts de bâches en nylon attachées à la lisse.
Comme le patron savait qu'un avertissement de tempête était en vigueur pour le secteur, il a décidé de laisser sur place le reste de la prise, soit 4 500 kg d'oursins.
1.12 Renseignements sur les conditions météorologiques
1.12.1 Prévisions
Le bulletin météorologique maritime diffusé par le Centre météorologique du Pacifique d'Environnement Canada pour le secteur prévoyait des coups de vent du sud-est dès 17 h 45 le 8 avril 1995. Les premiers avertissements de coups de vent émis à 5 h 45 le 9 avril ont été modifiés en avertissements de tempête à 17 h 45. Des vents du sud-est de 40 kn (coup de vent) à 50 kn (vent de tempête) étaient prévus, avec des lames atteignant les 6 m. On attendait pour le 10 avril des vents encore plus forts, de 55 kn.
1.12.2 Conditions météorologiques enregistrées
Les conditions enregistrées par les stations météorologiques concordent avec les constatations du navire. À 18 h le 9 avril, l'aéroport de Sandspit a enregistré des vents du sud-est de 20 kn, qui se sont intensifiés en coups de vent de 34 kn à 22 h 30, pour atteindre une vitesse maximale de 46 kn avec des rafales jusqu'à 60 kn à 3 h 18 le 10 avril.
La bouée d'Environnement Canada (46183), placée à 32 milles au nord-est de Sandspit, a enregistré, à 17 h le 9 avril, des lames de 1 m qui ont augmenté progressivement pour atteindre 2,5 m vers 1 h 30 le 10 avril, et jusqu'à 6,2 m, à 9 h 28 le 10 avril.
Pendant l'opération SAR, le «TANU», navire du ministère des Pêches et Océans, a enregistré des lames atteignant les 15 m et des vents de 70 kn.
1.13 Acceptation des risques
La pêche est généralement un métier qui comporte de grands risques que les marins-pêcheurs acceptent depuis toujours.Note de bas de page 5 Il est courant de minimiser l'importance des dangers que pose l'environnement hostile. Dans le cas à l'étude, le patron, poussé par des impératifs financiers, a levé l'ancre malgré des prévisions de mauvais temps et sans fermer hermétiquement les écoutilles.
1.13.1 Évaluation des risques
Quand on réussit à exécuter une activité risquée au travail, on a souvent tendance à changer d'attitude ou d'opinion quant au risque que comporte cette activité. On en vient à sous-estimer le risque et à se persuader que l'activité n'est pas dangereuse, qu'on est invulnérable. Et plus on répète cette activité dangereuse sans en souffrir, plus on est susceptible de croire que même s'il peut s'agir d'une activité dangereuse en soi, il ne peut rien arriver de fâcheux. Cette attitude peut conduire à recommencer, et il peut se créer un cercle vicieux. Chaque répétition de l'activité renforce le sentiment d'invulnérabilité. Plus ce sentiment d'invulnérabilité s'incruste, plus on risque de diminuer la marge de sécurité et de redoubler d'audaceNote de bas de page 6. Et, ironiquement, plus cette évaluation subjective porte à faire fi des risques, plus les risques d'accident sont grands.
1.13.2 Décision de prendre la mer
Les oursins sont un produit périssable, et c'est au patron qu'incombe la responsabilité de les amener au lieu de traitement en bon état et le plus rapidement possible.
Le «HILI-KUM» était un navire de plus faible tonnage que les autres bateaux transporteurs d'oursins exploités dans le secteur. Il lui fallait donc faire trois voyages là où les autres navires n'en faisaient que deux pour obtenir sa juste part du produit.
Le patron avait besoin d'argent pour payer son équipage et les propriétaires du navire. Il était en retard dans ses paiements pour un emprunt garanti par son père.
Le patron louait le bateau depuis décembre 1994. Il passait pour quelqu'un qui attachait beaucoup d'importance à la productivité et il avait souvent pris la mer par des temps où d'autres patrons préféraient demeurer au port. Le jour de l'accident, il a choisi d'appareiller malgré les prévisions de mauvais temps.
Les propriétaires étaient en train de faire l'acquisition d'un bateau transporteur plus grand et plus moderne pour le patron.
1.14 Équipement de sauvetage
L'équipement de sauvetage du «HILI-KUM» comprenait six gilets de sauvetage, un radeau pneumatique de six places et trois combinaisons d'immersion.
1.14.1 Radeau de sauvetage pneumatique
Entretien périodique obligatoire
Le radeau pneumatique doit être inspecté annuellement par un atelier de réparation autorisé. La validité du certificat SIC 29 délivré au «HILI-KUM» était conditionnelle au respect de cette exigence. C'est aux propriétaires qu'il incombe de s'assurer que l'entretien obligatoire est effectué. TC Sécurité maritime n'a pas de mécanisme en place pour s'assurer que les radeaux de sauvetage subissent l'entretien annuel obligatoire.
Dossier d'entretien du radeau
Le radeau pneumatique de six places de type SOLAS «B» avait été fabriqué par la Beaufort (Air-Sea) Equipment Ltd. au Royaume-Uni en octobre 1973. L'examen du carnet d'entretien du radeau montre que, pendant les 23 ans d'utilisation du radeau, il a été inspecté à cinq reprises : en mai 1978, en juillet 1983, en juin 1988, en août 1989 et en février 1992; aux trois dernières occasions, un expert maritime de TC Sécurité maritime était présent.
Exigences pour la conformité avec les normes canadiennes
En 1973, il n'y avait pas d'installation de fabrication de radeau pneumatique au Canada et tous les radeaux de sauvetage pneumatiques utilisés étaient importés. Seuls les radeaux de sauvetage fabriqués à partir du 1er juillet 1986 sont tenus d'être conformes aux nouvelles normes, qui exigent de plus grandes poches de stabilisation à eau. Les radeaux fabriqués avant cette date pouvaient continuer d'être utilisés jusqu'à ce qu'ils soient mis au rancart, en autant qu'ils respectaient les normes originelles. Il n'y a aucune exigence concernant des essais de stabilité ultérieurs, ni de limite maximale à la durée d'utilisation d'un radeau de sauvetage. Les poches de stabilisation à eau du radeau utilisé étaient plus petites que celles qu'exigent les normes actuelles.
Retournement du radeau de sauvetage
Le radeau pneumatique, dont les poches de stabilisation à eau étaient petites, s'est retourné une douzaine de fois. Le radeau était apparemment un peu moins enclin à se retourner lorsque l'unique occupant s'éloignait de l'entrée de la tente et se tenait plus au centre du radeau. Le cuisinier a redressé seul le radeau plusieurs fois, et il était épuisé lorsqu'il a été recueilli.
Gonflage du radeau pneumatique
Les règlements exigent pour les radeaux de sauvetage pneumatiques une bosse d'une longueur minimale de 15 m, et certains fabricants utilisent des bosses encore plus longues. L'extrémité intérieure de la bosse est reliée à un fil qui déclenche le gonflage du radeau par une bouteille de gaz (non toxique). La bosse doit être complètement sortie du contenant avant que le gonflage du radeau ne puisse s'amorcer. Dans le cas à l'étude, le radeau a été gonflé sur le pont avant. Le patron, après avoir sorti toute la longue bosse, a dû donner plusieurs violentes secousses pour déclencher le gonflage. Le survivant s'est plaint du temps qu'il a fallu pour sortir toute la bosse.
Connaissances et formation de l'équipage
Ni le patron ni le matelot ne savait comment redresser le radeau renversé. En outre, les membres de l'équipage n'ont pas gonflé le plancher du radeau, et ils n'ont pas refermé le panneau d'entrée afin de se protéger du froid parce qu'ils craignaient de se retrouver coincés à l'intérieur du radeau qui s'est retourné plusieurs fois.
1.14.2 Combinaisons d'immersion - Exigences réglementaires
Il n'existe pas, dans les règlements pris en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, de dispositions obligeant les navires du tonnage et du type du «HILI-KUM» à avoir à bord des combinaisons d'immersion. Cependant, les Fishing Operations Regulations de la Workers' Compensation Act of British Columbia, qui sont entrés en vigueur le 1er janvier 1995, exigent, à l'article 31(1), que les bateaux de pêche aient à bord, pour chaque membre de l'équipage, une combinaison d'immersion conforme à des normes acceptables par la Commission.
Le patron avait placé à bord trois combinaisons d'immersion pour son équipage, et toutes étaient rangées dans la salle des machines.
1.14.2.1 Historique des combinaisons d'immersion
La date de fabrication des combinaisons d'immersion n'a pas pu être établie. Le patron du «HILI-KUM» avait trois combinaisons d'immersion, qu'il avait achetées en avril 1978 pour le bateau de pêche «ROGERS PASS». Ce navire a coulé en novembre 1978 à Zeballos (C.-B.) avec les combinaisons d'immersion à bord. Celles-ci n'ont été récupérées que lors du renflouement du navire en avril 1979. Il a été impossible de déterminer si des travaux d'entretien quelconque avaient été effectués sur les combinaisons d'immersion après qu'elles ont été retrouvées. Lorsqu'il a loué le «HILI-KUM», le patron a pris deux de ces combinaisons d'immersion et une autre qu'il a empruntée d'un ami et qui portait l'inscription «RAMPANT» appliquée au pochoir à l'arrière.
1.14.3 Évaluation des engins de sauvetage par le ministère de la Défense nationale (MDN)
Radeau de sauvetage pneumatique
Après l'accident, le radeau a été inspecté visuellement avant les essais de gonflage, et on a fait notamment les constatations suivantes :
- la section de la tente s'était décollée à une couture;
- l'éclairage interne était hors d'usage, peut-être à cause de fils endommagés;
- il manquait certaines attaches de la porte d'entrée de la tente;
- l'enduit extérieur de la tente s'écaillait et était collant, et il manquait certaines sangles de redressement;
- le conduit du fil de gonflage était plié à environ trois pouces du boîtier. Il s'est avéré difficile d'exercer une traction rectiligne, mais le mouvement a été plus aisé à la troisième secousse, ce qui pourrait être révélateur de la présence de cristaux de sel ou de corrosion sous le disque de la tête de déclenchement.
Combinaisons d'immersion
L'inspection des trois combinaisons d'immersion effectuée après l'accident a révélé que :
- la combinaison que portait le survivant était en bon état et paraissait plus neuve que les deux autres, qui étaient dans un état passable;
- les fermetures-éclair des combinaisons des deux victimes étaient hors d'usage. Sur l'une d'elles, le curseur était arraché de la crémaillère d'un côté et bloqué en position relevée, et il manquait de nombreuses dents. La corrosion trouvée sur les curseurs et les fermetures-éclair de ces deux combinaisons correspond aux conséquences d'une exposition à l'eau de mer, compliquée par un manque de lubrification et d'entretien;
- toutes les combinaisons dépassaient les exigences des normesNote de bas de page 7 en ce qui concerne l'essai de flottabilité.
1.14.4 Formation aux techniques de survie et aux Fonctions d'urgence en mer (FUM)
Conscient du fait qu'un manque de connaissances et d'aptitudes en matière d'équipement de sauvetage et de techniques de survie à bord des bateaux de pêche compromet les chances de survie des pêcheurs en situation d'urgence, le Bureau a recommandé que le ministère des Transports s'assure que les pêcheurs reçoivent de la formation en bonne et due forme sur l'équipement de sauvetage et les techniques de survie.Note de bas de page 8 TC Sécurité maritime a tenu des consultations avec l'industrie de la pêche en vue d'exiger des bateaux de pêche d'aussi peu que 15 tonneaux de jauge brute d'avoir un capitaine breveté. On prévoit que les capitaines brevetés de bateaux de pêche recevront la formation FUM. Toutefois, les équipages en général ne seront pas tenus d'acquérir des connaissances des techniques de survie.
1.15 Signaux de détresse
Lorsque les membres de l'équipage ont aperçu le projecteur d'un navire vers 3 h 15, ils ont lancé deux des signaux de détresse du «HILI-KUM» en l'espace d'une dizaine de minutes, mais sans réussir à attirer l'attention. Les autres signaux de détresse qu'ils avaient pris à bord du radeau de sauvetage sont tombés à la mer quand le radeau s'est retourné.
Un peu plus tard, le cuisinier, qui était désormais seul à bord du radeau, a aperçu le projecteur d'un navire. Il a lancé trois des six fusées éclairantes à main de la trousse du radeau de sauvetage, mais les lueurs n'ont pas été aperçues. Les autres signaux de détresse se trouvant à bord du radeau sont tombés à la mer lorsque le radeau s'est de nouveau retourné.
2.0 Analyse
2.1 Voie d'eau
Le naufrage du navire a rendu impossible tout examen de la structure. Par conséquent, il a été impossible de déterminer avec précision l'état de la coque et du pont au moment de l'accident. Toutefois, le survivant a declaré avoir vu de l'eau s'infiltrer dans les emménagements à l'avant. Il n'est pas inhabituel pour un bateau de pêche en bois de 45 ans d'avoir des infiltrations d'eau par les coutures en mer. En outre, compte tenu des cas d'envahissement du tunnel de l'arbre qui s'étaient déjà produits à bord, il est probable que le problème n'était pas nouveau. Comme c'est l'arrière du navire qui s'est enfoncé en premier lors du naufrage alors que les fonds de la salle des machines étaient apparemment secs, on peut penser que c'est à l'arrière surtout que l'eau de mer a pénétré et s'est accumulée, dans la cambuse ou dans le tunnel de l'arbre, ou dans les deux.
2.2 Circonstances ayant mené au naufrage
Comme le navire faisait route dans une mer de la hanche de 6 m et des vents de l'arrière atteignant les 50 kn, il embarquait de grandes quantités d'eau de mer sur le pont arrière. Ce dernier était entouré d'un garde-corps qui permettait une évacuation rapide de l'eau par-dessus bord. Cependant, le navire embarquait de telles quantités d'eau qu'il y avait constamment un volume plus ou moins grand d'eau de mer sur le pont arrière.
Le poids de l'eau de mer devait aggraver davantage la situation, en diminuant progressivement le franc-bord arrière déjà faible du navire, accentuant l'enfoncement de l'arrière. Comme on ne s'était pas servi des panneaux d'écoutille de la cale à poisson spécialement conçus à cet effet et que le couvercle de fortune en contre-plaqué n'était pas fermé hermétiquement, l'eau de mer embarquée s'écoulait fort probablement dans la cale. L'accumulation d'eau sur le pont et l'envahissement de la cale par les hauts ont provoqué un engloutissement progressif, l'élimination de la réserve de flottabilité et le naufrage du navire par l'arrière.
2.3 Radeau de sauvetage pneumatique et sécurité
Gonflage du radeau sur le pont
On ne sait pas pourquoi le patron a gonflé le radeau pneumatique sur le pont. Cette façon de procéder était dangereuse parce qu'elle exposait le radeau à des avaries. Dans le cas à l'étude, toutefois, il est heureux que le radeau ait été gonflé sur le pont, parce que le conduit du fil de gonflage était plié et qu'il a fallu plusieurs secousses brusques sur la bosse pour amorcer le gonflage. Dans ces conditions, l'équipage aurait eu encore bien plus de difficulté à gonfler le pneumatique dans l'eau.
Méthode de gonflage du radeau
On a relevé dans les archives des cas de naufragés qui sont tombés à l'eau sans gilet de sauvetage avant d'avoir pu gonfler ou mettre à l'eau le radeau pneumatique. Pendant un abandon, l'anxiété provoquée par la situation critique, compliquée par la perte d'un temps précieux à tirer sur une longue bosse pour gonfler le radeau, peut avoir pour effet de diminuer le temps de survie de quelqu'un qui ne sait pas nager. Le survivant s'est plaint du temps qu'il a fallu pour sortir complètement la longue bosse. La mise en place d'un autre moyen ou d'un moyen additionel de provoquer le gonflage du radeau de sauvetage, comme il y en a déjà sur certains pneumatiques, pourrait permettre d'économiser un temps précieux et augmenterait les chances de survie des équipages.
Commentaires relatifs au chavirement du radeau
Comme ses poches de stabilisation à eau étaient petites, le radeau pneumatique était plus enclin à chavirer dans des vents violents et une mer forte que les pneumatiques munis de plus grandes poches de stabilisation. Même si les nouvelles normes exigent des poches de stabilisation à eau plus grandes pour améliorer la stabilité, on n'a pas exigé que les radeaux de sauvetage existants soient rendus conformes aux normes canadiennes lorsque celles-ci ont été adoptées. La sécurité des équipages qui utilisent de vieux radeaux peut être compromise du fait qu'aucune limite maximale n'est fixée à la durée de vie des pneumatiques, et parce que les navires ont encore à bord des radeaux de sauvetage fabriqués avant l'entrée en vigueur des nouvelles normes.
Comme le panneau de l'entrée de la tente du radeau est destiné à protéger les occupants contre les intempéries, il faut absolument le fermer. Cependant, comme le radeau se retournait fréquemment, l'unique survivant craignait de se retrouver coincé à l'intérieur. Par conséquent, il n'avait guère d'autres choix que de garder le panneau ouvert, diminuant ainsi ses chances de survie. Son exposition aux intempéries, ajoutée au fait que le plancher du radeau n'était pas gonflé, peut expliquer qu'il souffrait d'hypothermie lorsqu'il a été recueilli environ cinq heures et demie plus tard. Le cuisinier a pu survivre grâce à sa combinaison d'immersion.
2.3.1 Formation aux FUM et survie
Seul le cuisinier, qui avait suivi une formation aux techniques de survie, a survécu; les deux autres membres de l'équipage, qui n'avaient reçu ni formation aux FUM ni formation aux techniques de survie, sont morts. Même si la combinaison d'immersion du cuisinier était la seule dont la fermeture-éclair fonctionnait de façon satisfaisante, il n'en demeure pas moins que s'il a survécu, c'est en grande partie à cause de sa connaissance des techniques de survie -- il a été en mesure de redresser seul le radeau de sauvetage une douzaine de fois et a pu, par conséquent, s'abriter partiellement des éléments.
L'événement à l'étude souligne une fois de plus l'importance de la formation aux FUM, y compris la formation aux techniques de survie.
2.4 Combinaison d'immersion et sécurité
Les chances de survie des équipages sont améliorées grâce au transport et au port de combinaisons d'immersion. Les exigences de la Workers' Compensation Act of British Columbia concernant le transport de telles combinaisons, qui vont plus loin que celles de TC Sécurité maritime, ont incité les pêcheurs de la Colombie-Britannique à prendre l'habitude d'amener avec eux leur propre combinaison d'immersion d'un navire à l'autre. Cela a compliqué le contrôle de l'entretien des combinaisons, qu'il devient difficile de suivre d'un navire à l'autre. C'est au patron qu'il incombe de s'assurer que les combinaisons d'immersion sont bien entretenues et en bon état. Comme les combinaisons ne sont utilisées qu'en cas d'urgence et qu'il n'existe aucune exigence réglementaire concernant l'entretien de ces combinaisons ou la formation des équipages pour qu'ils soient en mesure d'en prendre soin et de les entretenir, on a relevé des cas où les combinaisons n'ont pas joué leur rôle, ce qui a eu des conséquences tragiques.
2.5 Raison pour laquelle les signaux de détresse n'ont pas été aperçus
Le fait que les signaux de détresse lancés du radeau de sauvetage par l'équipage n'ont pas été aperçus par les navires de recherches peut s'expliquer par les facteurs suivants :
- les recherches s'effectuaient dans des vents atteignant les 70 kn et une mer de 15 m; les navires roulaient et tanguaient énormément; et ils embarquaient d'énormes paquets de mer et des embruns;
- il y avait des bouchons d'écume blanche sur la mer;
- la hauteur au-dessus du niveau de la mer de l'oeil des membres des équipages des navires de recherches était faible;
- le radeau de sauvetage était au niveau de la mer et ballotté par de hautes vagues.
Les facteurs ci-dessus ont dû réduire considérablement la visibilité à partir des passerelles des navires de recherches, ce qui peut expliquer pourquoi les fusées éclairantes à main n'ont pas été aperçues.
2.6 Mesures à prendre par l'organisme de réglementation
Même si les radeaux de sauvetage pneumatiques doivent faire l'objet d'un entretien annuel, TC Sécurité maritime n'a pas de mécanisme en place pour s'assurer du respect des exigences réglementaires entre les inspections quadriennales du navire. TC Sécurité maritime avait assisté aux trois dernières inspections du radeau de sauvetage, et les dossiers d'entretien du radeau auraient indiqué que l'entretien annuel obligatoire n'avait pas été effectué, mais aucune mesure n'avait été prise pour obliger les propriétaires à respecter les exigences.
3.0 Faits établis
- Le patron a décidé de quitter le port pour entreprendre le voyage même s'il savait qu'un avertissement de tempête était en vigueur pour le secteur à traverser.
- La décision de prendre la mer a été, en partie, motivée par le fait que le patron avait besoin d'argent et qu'il a sous-estimé les risques.
- Le «HILI-KUM» faisait route dans une mer forte et des vents de l'arrière de force de coup de vent à vent de tempête, et il embarquait de grandes quantités d'eau de mer sur le pont arrière.
- Le poids de l'eau de mer embarquée a progressivement réduit le franc-bord arrière déjà faible du navire, causant l'enfoncement de l'arrière.
- On ne s'est pas servi du dispositif de fermeture hermétique de l'écoutille conçu à cet effet; à la place, on s'est servi de contre-plaqué pour couvrir l'ouverture de la cale à poisson sur le pont arrière.
- L'eau de mer accumulée sur le pont arrière s'est écoulée dans la cale à poisson par l'écoutille non étanche.
- De l'eau de mer a pénétré dans les compartiments sous le pont par des coutures dans la coque et le pont.
- La cause de la voie d'eau chronique à proximité de l'arbre n'a jamais été trouvée.
- L'accumulation d'eau sur le pont et l'envahissement par les hauts de la cale à poisson ainsi que des espaces sous le pont ont provoqué un engloutissement progressif, l'élimination de la réserve de flottabilité et le naufrage du navire par l'arrière.
- Inspection du navire
- Transports Canada (TC) Sécurité maritime était au courant des envahissements précédents du navire, mais le navire n'a pas été inspecté de nouveau parce que l'organisme n'avait pas été informé des réparations effectuées en 1995.
- La validité des certificats d'inspections des navires est conditionnelle à un entretien annuel des radeaux de sauvetage, mais TC Sécurité maritime n'a aucun mécanisme en place pour s'assurer du respect des exigences.
- Radeau de sauvetage pneumatique
- Le radeau pneumatique a été exposé à des avaries quand on l'a gonflé sur le pont avant.
- On a perdu un temps précieux et on a eu de la difficulté à gonfler le radeau de sauvetage à cause de la longueur de la bosse et du fait que le conduit du fil de gonflage était plié.
- Le radeau pneumatique de 23 ans qui se trouvait à bord du navire était muni de petites poches de stabilisation à eau, et il était plus enclin à se retourner que des pneumatiques plus modernes.
- Une clause de droits acquis permet aux navires de garder leurs vieux radeaux de sauvetage.
- Le cuisinier a réussi à redresser seul le radeau de sauvetage qui s'est retourné une douzaine de fois.
- Le survivant a dû laisser le panneau de la tente du radeau ouvert, se privant ainsi d'une précieuse protection contre les intempéries.
- Le panneau ouvert, le non-gonflement du plancher du radeau et l'immersion fréquente dans l'eau de mer expliquent que le survivant souffrait d'hypothermie lorsqu'il a été secouru.
- Signaux de détresse
- Les signaux de détresse lancés par les occupants du radeau de sauvetage n'ont pas été aperçus, et certains de ces dispositifs sont tombés à la mer lorsque le radeau s'est retourné.
- Les moyens dont disposait le survivant pour attirer l'attention des navires de recherches sont devenus encore plus limités lorsque les signaux de détresse sont tombés à la mer.
- Combinaisons d'immersion
- Les pêcheurs ont récemment pris l'habitude de transporter leur propre combinaison d'immersion d'un navire à l'autre, ce qui complique le contrôle de l'entretien de ces combinaisons.
- Les combinaisons d'immersion, dont on doit se servir dans des situations d'urgence, étaient rangées dans la salle des machines plutôt que dans un endroit facilement accessible.
- Deux des trois combinaisons d'immersion avaient déjà été immergées pendant un certain temps dans l'eau de mer, et leurs fermetures-éclair étaient rouillées et hors d'usage.
- Les combinaisons d'immersion que portaient les victimes n'assuraient qu'une très faible protection contre le froid.
- Ni le navire ni les propriétaires n'avaient de procédure en place pour s'assurer que les combinaisons d'immersion étaient maintenues en bon état.
- Survie et formation
- Le cuisinier, seul membre de l'équipage qui avait suivi une formation aux techniques de survie, a survécu; les deux autres sont morts.
- Il n'existe aucune exigence réglementaire obligeant les membres des équipages de bateaux de pêche de ce tonnage et de ce type
- suivre une formation aux Fonctions d'urgence en mer (FUM).
- La survie du cuisinier peut être attribuée au fait qu'il portait sa combinaison d'immersion, laquelle a bien joué son rôle, et qu'il avait suivi une formation aux techniques de survie.
3.1 Causes
Le «HILI-KUM» avait pris la mer malgré la diffusion d'un avertissement de tempête, et il faisait route dans des vents violents de l'arrière et une mer forte sans que le panneau d'écoutille de la cale à poisson soit fermé hermétiquement. L'effet cumulatif de grandes quantités d'eau de mer embarquées sur le pont arrière, du faible franc-bord du navire à l'arrière et de l'envahissement des compartiments sous le pont à l'arrière a provoqué l'enfoncement de l'arrière et l'élimination de la réserve de flottabilité du navire qui a coulé par l'arrière. La noyade subséquente de deux des trois membres de l'équipage, frappés d'hypothermie, est attribuable au mauvais état de leur combinaison d'immersion et au fait qu'ils ont été exposés à des conditions météorologiques rigoureuses lorsque le radeau de sauvetage s'est retourné.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures à prendre
4.1.1 Inspection périodique des radeaux de sauvetage
Les chances de survie de l'équipage en situation d'urgence dépendent largement de la capacité, de la fiabilité et de la disponibilité de l'équipement de survie. C'est pourquoi le Règlement sur l'équipement de sauvetage exige que les radeaux de sauvetage à bord de tous les navires, y compris les bateaux de pêche, fassent l'objet d'entretien et d'une inspection à chaque année. À l'heure actuelle, il n'y a aucun mécanisme en place pour s'assurer du respect des exigences en matière d'entretien des radeaux de sauvetage.
On a pu constater au cours de l'enquête sur cet événement que le radeau de sauvetage à bord du «HILI-KUM» n'avait pas été inspecté annuellement par un technicien d'un atelier de réparation accrédité et qu'il n'y avait eu aucun suivi de la part de Transports Canada (TC) à ce sujet. Il ne s'agit pas là d'un cas isolé de non-respect du Règlement sur l'équipement de sauvetage. Le Bureau a déjà exprimé son inquiétude face au fait que nombre de pêcheurs passent souvent outre à l'entretien annuel obligatoire et ne font faire l'essai de leurs radeaux de sauvetage que dans le cadre de l'inspection quadriennale de leur bateau, habitude qui semble être tolérée dans bien des cas par les organismes de réglementationNote de bas de page 9. Il se peut qu'on oublie de faire l'entretien annuel parce que l'intervalle entre l'entretien obligatoire des radeaux et celui entre les inspections du bateau ne concordent pas. Il se peut également qu'on ne procède pas à cet entretien parce qu'il ne revêt pas aux yeux des propriétaires et des exploitants la même importance que les réparations au bateau ou à l'équipement qui doivent être effectuées dans le cadre des activités quotidiennes. Le Bureau croit que si on ne procède pas à l'entretien annuel des radeaux de sauvetage, les défaillances risquent de passer inaperçues et ne pas être corrigées, ce qui compromet inutilement les chances de survie des équipages en situation d'urgence en mer. Par conséquent, le Bureau recommande que :
Le ministère des Transports mette en oeuvre des procédures pour s'assurer que les radeaux de sauvetage à bord de tous les navires, y compris les bateaux de pêche, font l'objet de l'entretien obligatoire en vertu du Règlement sur l'équipement de sauvetage.
Recommandation M97-01 du BST
Le radeau de sauvetage de 23 ans à bord du «HILI-KUM» était conçu de telle sorte qu'il s'est retourné à plusieurs reprises. Le panneau d'entrée de la tente du radeau a donc dû être laissé ouvert et l'occupant a été exposé aux dures conditions environnementales. Au cours d'un événement antérieur, le naufrage du remorqueur «PATRICIA B. McALLISTER», quatre membres de l'équipage se sont noyés et un est mort d'hypothermie parce que le vieux radeau de sauvetage à bord de leur navire n'était pas conforme aux exigences actuelles de conception. Dans son rapport sur cet événement, le Bureau a recommandé que le ministère des Transports sensibilise les armateurs et les exploitants aux limites des radeaux de sauvetage plus anciens et les incite à les remplacer par des modèles plus appropriésNote de bas de page 10. En réponse, TC a reconnu qu'il n'existe actuellement aucune loi forçant les armateurs à remplacer des radeaux de sauvetage plus anciens, mais que ces radeaux seraient éventuellement remplacés en raison de leur vieillissement. De plus, il a été indiqué que TC Sécurité maritime se chargeait de sensibiliser les navigateurs aux limites des radeaux de sauvetage plus anciens et les incitait à se procurer des modèles plus récents.
Outre ces démarches, le Bureau n'est au courant d'aucune mesure qui aurait été prise à ce jour pour accélérer le processus de remplacement des radeaux plus anciens. De plus, le Bureau croit qu'à cause de l'habitude apparemment très répandue de passer outre à l'entretien annuel obligatoire des radeaux, de nombreux radeaux plus anciens demeurent à bord des bateaux de pêche. Puisque les chances de survie de bon nombre de pêcheurs dépendent de radeaux de sauvetage anciens en cas d'abandon du navire, le Bureau recommande que :
Le ministère des Transports établisse des dates limites auxquelles tous les radeaux de sauvetage ne répondant pas aux normes actuelles devront être remplacés.
Recommandation M97-02 du BST
Entre-temps, le Bureau recommande que :
Le ministère des Transports étudie des programmes qui pourraient inciter les propriétaires et les exploitants à se procurer de nouveaux radeaux de sauvetage avant les dates limites établies.
Recommandation M97-03 du BST
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président Benoît Bouchard, et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.
Annexes
Annexe A - Photographies
Annexe B - Croquis du secteur de l'événement
Annexe C - Dispositif de gonflage du radeau de sauvetage
Annexe D - Sigles et abréviations
- BHP
- puissance au frein
- B.P.
- bateau de pêche
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- C.-B.
- Colombie-Britannique
- CCS
- Centre de coordination du sauvetage
- cm
- centimètre
- ESE
- est-sud-est
- FUM
- Fonctions d'urgence en mer
- HAP
- heure avancée du Pacifique
- kg
- kilogramme
- kn
- noeud
- m
- mètre
- (M)
- magnétique (°)
- MAYDAY
- préfixe d'un message de détresse
- MDN
- ministère de la Défense nationale
- OMI
- Organisation maritime internationale
- R/T
- VHF radiotéléphone très haute fréquence
- SAR
- recherches et sauvetage
- SCTM
- Services de communications et de trafic maritime
- SI
- système international (d'unités)
- SIC
- certificat d'inspection des navires
- SOLAS
- Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer
- TC
- Transports Canada
- UTC
- temps universel coordonné
- °
- degré