Réévaluation de la réponse à la recommandation en matière de sécurité maritime M92-05
Efficacité des systèmes d’assèchement des fonds des cales réfrigérées des bateaux de pêche
Contexte
Le Northern Osprey a appareillé de Mulgrave au Cap Breton (Nouvelle-Écosse), le 15 juin 1990, à destination de lieux de pêche à la crevette au large de la côte est du Labrador.
Alors qu’il manœuvrait dans des eaux encombrées de glace le 27 juin, le navire a subi des avaries au bordé extérieur sur l’avant-tribord près d’une cloison mitoyenne séparant le réservoir de carburant de la cale à poisson. À la suite de ces avaries, du carburant a pénétré dans la cale à poisson, suivi quelques heures plus tard par de l’eau de mer.
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a déterminé qu’il est très probable que le navire ait eu la coque perforée par de la glace alors qu’il manœuvrait dans des eaux encombrées de glace. La brèche n’a pas été décelée et l’étanchéité du compartimentage a été détruite lorsqu’on a ouvert, sans les refermer, le couvercle du trou d’homme du tunnel à tuyauterie et la porte donnant accès à la salle des machines afin de permettre au carburant, qu’il était impossible de pomper efficacement, de s’écouler de la cale à poisson. L’eau de mer a alors envahi la cale et la salle des machines et le navire a fait naufrage.
Le BST a conclu son enquête et a publié son rapport M90M4020 le 21 octobre 1992.
Recommandation du BST M92-05 (octobre 1992)
La grande majorité des navires de pêche canadiens de la côte est, tout comme le Northern Osprey, naviguent couramment dans des eaux où il y a de la glace de mer et sont par conséquent exposés à des avaries. Depuis 1976, au large des côtes de Terre-Neuve et du Labrador, au moins 42 navires de pêche, y compris le Northern Osprey, ont signalé des avaries causées par les glaces. Ces avaries ont été la cause directe du naufrage de quatre navires de pêche. Dans plusieurs cas, des systèmes d’assèchement de cale adéquats ainsi que des mesures de limitation des dégâts appropriées ont permis de prévenir les pertes de vie et les pertes matérielles.
Dans la neige, le brouillard marin, la pluie verglaçante, les embruns ou dans d’autres conditions semblables, de la glace peut s’accumuler sur les gréements et les superstructures, ce qui provoque un déplacement du centre de gravité et, de ce fait, une diminution de la stabilité du navire. Une grosse mer, un vent fort, la présence d’eau sur le pont, etc. peuvent aussi compromettre la stabilité du navire. L’incapacité d’assécher adéquatement un compartiment, en plus de mettre le navire en danger de couler, peut réduire sa stabilité à cause de l’effet de carène liquide ainsi créé. (L’effet de carène liquide est un phénomène dangereux qui survient lorsque, dans une citerne ou un compartiment partiellement rempli, le liquide se déplace lorsque le navire s’incline, ce qui nuit au redressement du navire.) Le système d’aspiration pour l’assèchement de la cale à poisson du Northern Osprey ne fonctionnait pas au moment de l’accident, probablement à cause de la présence de glace dans le système, qui n’était pas conçu pour fonctionner dans des conditions de réfrigération.
Le Règlement sur l’inspection des grands bateaux de pêche exige que les crépines d’aspiration de cale, le tuyautage et les dispositifs d’assèchement soient disposés de telle sorte que l’eau qui pénètre dans un compartiment étanche puisse être évacuée. Toutefois, le règlement ne fait aucune distinction entre les compartiments réfrigérés et ceux qui ne le sont pas. Le nouveau Règlement sur les machines de navires, entré en vigueur le 1er mai 1990, contient des dispositions et des exigences concernant l’assèchement des espaces réfrigérés; toutefois, ce nouveau règlement ne s’applique pas aux grands bateaux de pêche.
Compte tenu de l’effet que peut avoir l’accumulation d’eau de cale dans des compartiments réfrigérés sur l’aptitude d’un bateau de pêche à tenir la mer et sur sa stabilité, le Bureau a recommandé que :
le ministère des Transports modifie les règlements pertinents pour s'assurer que les systèmes d'assèchement des cales soient efficaces dans tous les compartiments étanches, y compris les espaces réfrigérés des bateaux de pêche, où la température peut descendre en dessous du point de congélation.
Recommandation M92-05 du BST
Réponse de Transports Canada (TC) à la recommandation M92-05 (février 1993)
Le ministère des Transports n’est pas d’accord avec cette recommandation pour les raisons suivantes :
- Les exigences contenues dans le règlement relatif aux compartiments réfrigérés de la Société de classification visent d’abord les navires de charge ayant une cote de navire à cargaison réfrigérée. Elles traitent de l’évacuation de l’eau provenant des évaporateurs qui sont en mode dégivrage et non du pompage de grandes quantités d’eau dans un espace réfrigéré. Un système de pompage de cale sert à assécher l’espace, à pallier les fuites mineures, à éliminer les accumulations d’eau, etc.; il n’est pas conçu pour contrôler les avaries et n’est pas assez puissant pour contrer une importante infiltration d’eau.
- Les travaux d’installation d’un tel système à bord d’un navire existant sont complexes et coûteux et auraient des répercussions sur les prix des navires neufs sans produire une amélioration importante de la sécurité.
- Le protocole proposé à la Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche ne traite pas des systèmes pour cale avec cargaison réfrigérée. À l’heure actuelle, le Canada ne possède aucune donnée lui permettant de croire que cette exigence sera ajoutée au protocole. Si les futures exigences du protocole s’avèrent plus rigoureuses que celles de la réglementation en vigueur, nous étudierons la possibilité de réviser nos lois et règlements.
Transports Canada rejette la recommandation M92-05, mais pourra la réévaluer au terme des discussions sur le protocole proposé à la Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche.
Évaluation par le Bureau de la réponse à la recommandation M92-05 (mars 1993)
Transports Canada n’est pas d’accord avec la recommandation et indique que les travaux d’installation d’un tel système d’assèchement de cale à bord d’un navire existant sont complexes et coûteux sans amélioration importante de la sécurité.
Sa réponse est fondée sur les exigences actuelles, ou l’absence d’exigences, des sociétés de classification et de l’Organisation maritime internationale (OMI). Dans sa réponse, TC ne répond pas à la lacune en matière de sécurité qui a été cernée à la suite de cet événement. Il laisse entendre qu’il n’envisage pas de modifier ses règlements parce que l’OMI (Protocole de la Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche) n’a proposé aucune exigence relativement à l’installation de ce type de système d’assèchement. Ce faisant, Transports Canada ne tient pas compte de l’environnement difficile dans lequel les pêcheurs canadiens travaillent et du fait que les exigences pour un grand nombre de membres de l’OMI diffèrent des exigences pour le Canada.
À l’heure actuelle, le Règlement sur l’inspection des grands bateaux de pêche canadien exige que les crépines d’aspiration de cale, le tuyautage et les dispositifs d’assèchement soient disposés de telle sorte que l’eau qui s’amasse dans un compartiment étanche puisse être évacuée. Toutefois, le règlement ne fait pas de distinction entre les compartiments réfrigérés et les compartiments non réfrigérés. Le nouveau Règlement sur les machines de navires, entré en vigueur le 1er mai 1990, contient des dispositions et des exigences concernant l’assèchement des espaces réfrigérés; toutefois, il est entendu que ce nouveau règlement vise seulement les navires commerciaux et ne s’applique pas nécessairement aux grands bateaux de pêche.
La recommandation M92-05 a pour objectif de modifier la réglementation existante pour faire en sorte que les systèmes d’assèchement de cale soient efficaces dans les espaces réfrigérés des bateaux de pêche, où la température peut descendre en dessous du point de congélation. Puisque le ministère des Transports n’envisage pas d’améliorer les exigences relatives aux systèmes d’assèchement de cale avec espaces réfrigérés; la lacune de sécurité ne sera pas corrigée et d’autres accidents pourraient se produire.
C’est pourquoi le BST estime que la réponse à la recommandation M92-05 est non satisfaisante.
Réponse de Transports Canada à la recommandation M92-05 (novembre 2006)
Dans sa mise à jour de novembre 2006, TC indique qu’il publiera le nouveau Règlement sur les grands bateaux de pêche dans le cadre de la phase 2 de son programme de réforme réglementaire. TC entend traiter la question en adoptant le protocole de la Convention de Torremolinos et en le citant à titre référence dans le règlement.
TC n’est pas d’accord avec la recommandation. Un système d’assèchement de cale sert à assécher et à pallier les fuites mineures. Il n’est pas conçu pour contrôler les avaries et n’est pas assez puissant pour contrer une importante infiltration d’eau. Les travaux d’installation d’un tel système à bord d’un navire existant sont complexes et coûteux.
Réévaluation par le Bureau de la réponse à la recommandation M9205 (mars 2007)
Le règlement, qui porte maintenant le titre Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche, devrait être publié dans la Partie I de la Gazette du Canada, au plus tard en décembre 2007. Le protocole 1993 de la Convention de Torremolinos a été adopté le 2 avril 1993, mais n’entrera en vigueur qu’un an plus tard après que 15 pays comptant globalement au moins 14 000 bateaux de pêche d’une longueur de 24 mètres et plus auront signé le Protocole. Les règlements adoptés à la Convention portent sur les navires neufs, construits à compter de la date d’entrée en vigueur du protocole. En octobre 2006, 12 pays membres comptant une flotte de bateaux de pêche de 24 mètres ou plus avaient signé le protocole, un nombre insuffisant pour assurer la mise en œuvre de la convention.
Puisque la seule mesure proposée par TC pour régler le problème de l’évacuation de l’eau dans les compartiments inondés est l’adoption d’une convention internationale dont l’entrée en vigueur semble improbable à court terme ou qui n’aura peut-être jamais force de loi, la lacune de sécurité ne sera pas considérablement réduite ou éliminée. Selon le Système de recherche d’informations sur l’immatriculation des bâtiments de Transports Canada, il y a environ 529 bateaux de pêche canadiens de plus de 24 mètres de longueur.
Le Bureau juge que la réponse est non satisfaisante.
Le BST ne prendra aucune autre mesure associée à cette recommandation puisque TC a confirmé à maintes reprises que le seul geste qu’il entend poser consiste à adopter une convention internationale dont la date de mise en œuvre n’est pas connue et qui traite seulement des navires neufs, et à s’y référer. Le Bureau estime que le risque résiduel lié à l’incapacité d’évacuer l’eau d’un compartiment inondé est toujours présent.
Réponse de Transports Canada à la recommandation M92-05 (décembre 2014)
Un examen technique et juridique de la section 14 (6) du Règlement sur l’inspection des grands bateaux de pêche (qui contient les exigences relatives aux systèmes d’assèchement de cale) a confirmé que les exigences réglementaires actuelles sont suffisantes répondre à la recommandation M92-05 et qu’aucune modification de ces règlements n’est nécessaire.
Selon l’examen technique et juridique de la section 14 (6) du Règlement sur l’inspection des grands bateaux de pêche, les exigences ne font aucune distinction entre les compartiments réfrigérés et les compartiments non réfrigérés. Elles portent donc sur tous les compartiments étanches, qu’ils soient réfrigérés ou non.
De plus, le règlement ne comprend aucune exigence qui exclut précisément les compartiments réfrigérés. TC conclut donc que la section 14 n’exclut pas les espaces réfrigérés.
À la lumière de l’examen technique et juridique, Sécurité maritime de Transports Canada (SSMTC) communiquera avec les inspecteurs, par l’intermédiaire de flagstate.net afin qu’ils vérifient si des systèmes d’assèchement de cale efficaces sont installés dans tous les compartiments étanches, y compris les espaces réfrigérés, et que ses systèmes sont en mesure de fonctionner pour toute la plage de températures prévues. Un Bulletin de la sécurité des navires sera bientôt publié pour sensibiliser les exploitants à cette exigence.
TC pourrait aussi intégrer les exigences de l’Accord de Cape Town à son cadre réglementaire pour la flotte de navires canadiens. Ce cadre comprendra l’élaboration d’exigences pour les grands bateaux de pêche, notamment la modification d’exigences canadiennes existantes, au besoin. SSMTC prévoit fusionner le Règlement sur l’inspection des grands bateaux de pêche et le Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche proposé. Ce faisant, SSMTC étudiera la possibilité d’examiner la formulation des dispositions concernant les systèmes d’assèchement de cale dans le but de préciser ces exigences.
SSMTC croit que le BST devrait accorder la cote Entièrement satisfaisante à sa réponse à la recommandation M92-05.
Réponse de Transports Canada à la recommandation M92-05 (décembre 2015)
Dans sa réponse, Transports Canada n’a donné aucun nouveau renseignement.
Réévaluation par le Bureau de la réponse à la recommandation M92-05 (mars 2016)
Dans sa réponse de 2014, TC indique que son examen technique et juridique de la section 14 (6) du Règlement sur l’inspection des grands bateaux de pêche a permis de déterminer qu’elle comprend déjà des exigences relatives à l’installation de systèmes d’assèchement de cale efficaces dans tous les compartiments étanches, notamment les espaces réfrigérés dans les bateaux de pêche où la température peut descendre sous le point de congélation.
TC a affirmé que ses inspecteurs vérifieront si des systèmes d’assèchement de cale efficaces sont installés dans tous les compartiments étanches des grands bateaux de pêche, et sensibilisera les exploitants aux exigences existantes par l’intermédiaire du Bulletin de la sécurité des navires 01/2016 (20 janvier 2016), Grands bateaux de pêche – Systèmes d’assèchement de cale efficaces dans tous les compartiments étanches et réfrigérés.
Ainsi, le Bureau estime que cette réponse dénote une attention entièrement satisfaisante.
Suivi exercé par le BST
Le présent dossier est fermé.