Recommandation R22-01 du BST

Réduction du risque de mouvements non contrôlés par la mise en œuvre d’exigences visant l’entretien périodique des cylindres de frein

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada recommande que le ministère des Transports établisse des normes d’essai rigoureuses et des exigences de maintenance en fonction du temps pour les cylindres de frein des wagons de marchandises exploités sur des pentes descendantes abruptes par température ambiante froide.

Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire
Date à laquelle la recommandation a été émise
Date de la dernière réponse
Juin 2022
Date de la dernière évaluation
Août 2022
Évaluation de la réponse à la recommandation
Intention satisfaisante
État du dossier
Actif

Résumé de l’événement

Le 4 février 2019, le train de marchandises numéro 301-349 de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP), exploité par une équipe de relève, a déraillé sur Field Hill, près de Field (Colombie-Britannique), sur une section de voie de 13,5 milles présentant une pente descendante abrupte (pente moyenne de 2,2 %) et plusieurs courbes prononcées. Les 3 membres de l’équipe—un mécanicien de locomotive, un chef de train et un chef de train stagiaire—ont été mortellement blessés.

Justification de la recommandation

Dans l’événement à l’étude, les cylindres de frein des wagons de marchandises perdaient de l’air comprimé, situation aggravée par l’âge et l’état des cylindres, et par la température extrêmement froide (la température ambiante était de l’ordre de −25 °C à −28 °C), ce qui réduisait la capacité de freinage du système de freins à air automatique du train. D’après les essais réalisés après l’événement, on a déterminé que l’efficacité des freins à air d’environ 50 % des wagons du train à l’étude était réduite pendant la descente initiale de Field Hill et, par conséquent, un serrage d’urgence des freins était nécessaire. Compte tenu de la température extrêmement froide et du temps pendant lequel les wagons du train sont restés immobiles avec les freins serrés à Partridge, le taux de fuite aux cylindres de frein de certains wagons était probablement excessif. Par conséquent, environ 3 heures plus tard, les freins ne pouvaient plus garder le train immobilisé et ce dernier a commencé à rouler de lui-même.

La fuite d’air comprimé des composants du système de freins à air est un problème fondamental par températures ambiantes froides. Les fuites des freins à air augmentent habituellement lorsque la température chute et peuvent devenir assez importantes par froid extrême (à −25 °C ou moins). De nombreux joints d’étanchéité et garnitures dans le système de freins à air sont faits de caoutchouc ou d’un matériau composite. Les effets des températures froides sur le caoutchouc peuvent varier en fonction de sa composition, de son âge et de son usure. En outre, on sait de façon générale que les températures froides réduisent la résilience de rebondissement, rendant le caoutchouc plus rigide et moins efficace pour prévenir les fuites. C’est particulièrement vrai pour les composants des freins à air en service depuis longtemps, comme les joints d’étanchéité du distributeur, des joints en coupelle du cylindre de frein et des joints à bride de la conduite générale.

Une fuite au cylindre de frein des wagons peut être particulièrement problématique lors de la descente d’une longue pente abrupte, parce qu’une pression au cylindre de frein suffisante est nécessaire pendant une période prolongée pour maintenir la vitesse du train. Descendre la pente de 13,5 milles de Field Hill à 15 mi/h exige que les freins à air restent serrés et fournissent une force retardatrice de freinage constante pendant plus de 52 minutes.

Pour atténuer le risque que les cylindres de frein des wagons de marchandises développent des fuites d’air excessives, il est essentiel que les cylindres de frein soient régulièrement mis à l’essai et entretenus. Toutefois, il n’existe dans le secteur ou la réglementation aucune exigence particulière quant à l’entretien régulier des cylindres de frein des wagons de marchandises.

L’historique de réparation des 112 wagons du train à l’étude indiquait qu’il y avait eu un remplacement ou un entretien de cylindre de frein sur 23 wagons (20,5 %) au cours des 5 années précédentes en raison de l’échec d’un SCT.

Les fuites au cylindre de frein demeurent au deuxième rang des causes d’échec au SCT, derrière les défaillances du distributeur de wagon.

Le secteur ferroviaire s’est penché sur le problème des fuites au cylindre de frein. En 2011, le comité sur les systèmes de frein (Brake Systems Committee) de l’Association of American Railroads (AAR) a proposé de réduire de moitié le taux maximal acceptable de fuite au cylindre de frein pendant un SCT périodique, un essai qui permet de vérifier le fonctionnement prévu des freins du wagon et de garantir, entre autres, que les freins restent serrés et ne présentent pas de taux de fuite supérieurs aux taux permissibles.

D’après la norme S-486 de l’AAR,Note de bas de page 1 la limite maximale acceptable de fuite au cylindre de frein lors d’un SCT est de 1 lb/po2 par minute. À ce taux de fuite, le train à l’étude aurait perdu 52 lb/po2 de pression au cylindre de frein pendant la descente de Field Hill, ce qui représente une perte de 81,3 % de la capacité de freinage. Près du bas de la pente, la pression au cylindre de frein restante du train aurait été équivalente à un serrage des freins par réduction minimale de la pression (7 lb/po2), ce qui aurait été insuffisant pour permettre au train de rester en deçà de la vitesse maximale permise de 15 mi/h. Par comparaison, si le taux de fuite maximal acceptable proposé de 1 lb/po2 par 2 minutes était adopté, un train descendant Field Hill conserverait assez de pression au cylindre de frein pour effectuer toute la descente à 15 mi/h avec un seul serrage supplémentaire des freins pour compenser la fuite.

La proposition du comité sur les systèmes de frein de l’AAR n’a pas été acceptée. Le secteur estimait que cette révision de la norme n’était pas nécessaire pour l’ensemble de l’Amérique du Nord, principalement en raison de la nature régionale du problème : le taux de fuite maximal plus rigoureux n’est nécessaire que pour descendre des pentes abruptes en hiver par températures froides.

Par le passé, les cylindres de frein devaient régulièrement subir une remise en état de type nettoyage, graissage, essai et marquage (COT&S), mais ces exigences ont été abandonnées par l’AAR en 1992Note de bas de page 2. Depuis, l’approche de l’entretien des cylindres de frein adoptée par le secteur est devenue une approche d’entretien préventif volontaire ou « d’utilisation jusqu’à la défaillance ». Cependant, comme l’a montré l’événement à l’étude, en l’absence d’entretien périodique planifié, les fuites au cylindre de frein peuvent compromettre l’exploitation sécuritaire d’un train lorsqu’un serrage soutenu des freins est nécessaire, en particulier par températures froides.

Les exigences en matière de COT&S avaient également été abandonnées pour les distributeurs de wagon en 1992. Cependant, à la suite d’un événement survenu le 10 janvier 2018 à l’embranchement industriel de Luscar à Leyland (Alberta), au cours duquel un train de marchandises est parti à la dérive en descendant une pente en terrain montagneux,Note de bas de page 3 et en réaction à de nombreux autres événements survenus au Canada et aux États-Unis, l’AAR a révisé sa position et a apporté des changements aux règles de façon à rétablir un calendrier de COT&S pour les distributeurs de wagon dans certaines circonstancesNote de bas de page 4. L’AAR a défini les conditions dans lesquelles les distributeurs de wagon devraient être remplacés en raison de leur âge et de l’exposition à des conditions de service par températures froides. Cette nouvelle exigence s’applique aux wagons de marchandises exploités en hiver au nord du 37e parallèle et qui sont équipés de distributeurs dont la dernière date de COT&S remonte à plus de 13 ans.

Les cylindres de frein sont également sujets à un déclin du rendement après de longues périodes passées en service sans entretien, notamment sans lubrification et remplacement des joints et garnitures de caoutchouc essentiels à la sécurité. Toutefois, contrairement aux exigences en matière de COT&S qui ont récemment été rétablies pour les distributeurs, il n’existe aucune exigence de l’AAR concernant l’entretien ou le remplacement des cylindres de frein sur les wagons de marchandises à intervalle fixe.

Des fuites excessives aux cylindres de frein des wagons de marchandises sur des pentes descendantes abruptes par températures ambiantes froides augmentent le risque d’une perte de maîtrise due à une capacité de freinage dégradée. Les mouvements non contrôlés d’équipement ferroviaire, quoique rares, sont des événements qui peuvent engendrer des situations très risquées aux conséquences potentiellement catastrophiques.

Lorsqu’un train descend une longue pente par températures froides, où les freins doivent être serrés pendant une longue période, comme sur Field Hill, si les cylindres de frein fuient à un taux de 1 lb/po2 par minute (la limite maximale acceptable précisée dans la norme S-486 de l’AAR), il y a un risque que les fuites au cylindre de frein rendent le système de freins à air inefficace. Pour empêcher les mouvements non contrôlés dans ces situations, les limites de fuites au cylindre de frein doivent être fixées à des niveaux maximum acceptables plus rigoureux.

Afin d’atténuer le risque que les wagons de marchandises développent des fuites excessives aux cylindres de frein, il est essentiel que les cylindres de frein fassent l’objet d’un entretien régulier et axé sur le temps.

Si TC et le secteur ferroviaire ne prennent aucune mesure pour prévenir les fuites excessives aux cylindres de frein des wagons de marchandises, le risque d’une perte de maîtrise due à une capacité de freinage insuffisante subsistera, risque qui augmente sur des pentes descendantes abruptes, en particulier par températures ambiantes froides.

Par conséquent, le Bureau a recommandé que le ministère des Transports établisse des normes d’essai rigoureuses et des exigences de maintenance en fonction du temps pour les cylindres de frein des wagons de marchandises exploités sur des pentes descendantes abruptes par température ambiante froide (Recommandation R22-01 du BST).

Réponses et évaluations antérieures

S.O.

Réponse et évaluation les plus récentes

Juin 2022 : Réponse de Transports Canada

Transports Canada accepte la recommandation R22-01 et prend des mesures immédiates pour corriger la lacune décelée dans le régime de réglementation de la sécurité ferroviaire :

  • D’ici juillet 2022, un arrêté ministériel devrait être pris pour obliger les compagnies de chemin de fer à renforcer leurs exigences d’inspection, de mise à l’essai et d’entretien des composantes des freins à air pour améliorer leur performance par temps froid.
  • Selon cet arrêté ministériel, les intervenants de l’industrie seront tenus de présenter des modifications au Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des freins sur les trains de marchandises et de voyageurs en deux phases, la première ayant comme date limite novembre 2022 (inspections régulières), et la deuxième mai 2023 (mises à l’essai et entretiens périodiques).

Cette démarche créera des occasions de collaborer et d’engendrer des discussions, notamment pour ce qui est des exigences de la Loi sur la sécurité ferroviaire selon lesquelles les intervenants de l’industrie sont tenus de consulter les organisations syndicales au moment de réviser le Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des freins sur les trains de marchandises et de voyageurs. En définitive, le but de ces efforts est d’atténuer le risque sous-jacent de mouvements non contrôlés et d’établir des normes uniformes à l’échelle nationale pour améliorer la performance des freins à air.

Août 2022 : Évaluation de la réponse par le BST (intention satisfaisante)

Transports Canada (TC) est d’accord avec la recommandation. Depuis sa réponse initiale, TC a pris l’arrêté ministériel MO 22-04 afin de renforcer les exigences en matière d’inspection, de mise à l’essai et d’entretien des composantes des freins à air, y compris les cylindres de frein, pour améliorer leur performance par temps froid. TC exige que le secteur présente des modifications au Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des freins sur les trains de marchandises et de voyageurs selon une démarche en deux phases. Les présentations de la phase 1, visant à établir les exigences d’inspection régulière, doivent être reçues d’ici le 30 novembre 2022. Les présentations de la phase 2, qui concernent les mises à l’essai et les entretiens périodiques, doivent être reçues d’ici le 31 mai 2023.

Le Bureau juge encourageant le fait que TC reconnaît qu’il existe une lacune dans le régime de réglementation de la sécurité ferroviaire en ce qui concerne l’inspection et l’entretien des composantes critiques des freins à air. TC a établi un plan pour corriger cette lacune et améliorer la performance des freins à air par temps froid, y compris des modifications possibles au cadre réglementaire. Toutefois, le Bureau craint qu’une approche de l’entretien axée sur le rendement, plutôt que sur le temps, ne permette pas de corriger en temps opportun la lacune en matière de sécurité sous-jacente qui justifie cette recommandation. Sous réserve des détails de toute modification proposée à la réglementation, le Bureau estime que la réponse à la recommandation R22-01 dénote une intention satisfaisante.

État du dossier

Le BST surveillera les progrès que TC accomplit à l’égard de ses mesures planifiées.

Le présent dossier est actif.