Gestion du risque par l’identification des dangers, l’analyse des tendances des données et l’évaluation des risques
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada recommande que le ministère des Transports exige que la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique démontre que son système de gestion de la sécurité permet de cerner efficacement les dangers résultant des opérations, en utilisant toute l’information disponible, comme les signalements de dangers par les employés et les tendances des données; qu’il évalue les risques connexes; et qu’il mette en œuvre des mesures d’atténuation et en valide l’efficacité.
Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire
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Date à laquelle la recommandation a été émise |
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Date de la dernière réponse |
Juillet 2022
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Date de la dernière évaluation |
Août 2022
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Évaluation de la réponse à la recommandation |
Intention satisfaisante
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État du dossier |
Actif
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Résumé de l’événement
Le 4 février 2019, le train de marchandises numéro 301-349 de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP), exploité par une équipe de relève, a déraillé sur Field Hill, près de Field (Colombie-Britannique), sur une section de voie de 13,5 milles présentant une pente descendante abrupte (pente moyenne de 2,2 %) et plusieurs courbes prononcées. Les 3 membres de l’équipe—un mécanicien de locomotive, un chef de train et un chef de train stagiaire—ont été mortellement blessés.
Justification de la recommandation
Un système de gestion de la sécurité (SGS) est un cadre reconnu à l’échelle internationale qui permet aux compagnies de gérer les risques efficacement et de rendre les opérations plus sûres. Les évaluations des risques sont la pierre angulaire d’un SGS pleinement fonctionnel et efficace, et sont essentielles pour permettre à une compagnie de fonctionner en toute sécurité. Le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS) oblige les compagnies de chemin de fer à réaliser des évaluations des risques, notamment lorsqu’une préoccupation en matière de sécurité est mise en évidence. Toutefois, les dispositions réglementaires ne définissent pas ce qu’est une préoccupation en matière de sécurité, ce qui permet diverses interprétations.
Pour cerner les préoccupations en matière de sécurité, les compagnies de chemin de fer doivent analyser continuellement leurs activités, les tendances actuelles ou naissantes, et les situations récurrentes. Ces analyses sont fondées sur des renseignements comme les signalements par les employés de dangers pour la sécurité et les données des technologies de surveillance de la sécurité.
La procédure de signalement des infractions aux règles de sécurité, des risques pour la sécurité et des préoccupations liées à la sécurité du CP définit une préoccupation en matière de sécurité de la façon suivante :
Préoccupation liée à la sécurité : danger ou condition qui pourrait entraîner un événement non désiré qui présente
- une menace pour l’exploitation sécuritaire du chemin de fer ou qui pourrait réduire la sécurité des activités ferroviaires;
- un risque direct pour la sécurité des employés, de la propriété du chemin de fer, des produits transportés par le chemin de fer, le grand public ou des biens adjacents à la voie ferrée.Note de bas de page 1
Au moment de l’événement, la procédure du CP décrivait les situations dans lesquelles on devait signaler un danger pour la sécurité et effectuer une analyse pour cerner les préoccupations en matière de sécurité, les tendances actuelles ou naissantes, et les situations récurrentes. Elle indiquait également les étapes à suivre pour transmettre progressivement un enjeu de sécurité à l’échelon supérieur jusqu’à ce qu’il soit réglé. Cependant, l’enquête a révélé que le processus n’était pas toujours suivi, que les signalements de dangers n’étaient pas toujours cotés ou évalués, et que certains rapports étaient clos sans indication claire quant à la mesure corrective prise, ni aucune vérification à savoir si la mesure était en place ni si elle était efficace.
Avant l’événement à l’étude, des rapports sur les dangers pour la sécurité portant sur des trains-blocs céréaliers ayant eu des problèmes de freinage pendant la descente de Field Hill par températures froides en hiver avaient été présentés par des équipes de train en janvier et en février depuis nombre d’années. Bien que la procédure du CP relative au signalement des dangers pour la sécurité ait été activement suivie au terminal de Calgary, le processus de suivi était inefficace pour analyser les tendances. Le CP estimait que la tendance présentée par les signalements des dangers pour la sécurité ne constituait pas une « préoccupation en matière de sécurité » aux termes du Règlement sur le SGS ou de sa propre procédure de signalement des infractions aux règles de sécurité, des risques pour la sécurité et des préoccupations liées à la sécurité.
Les signalements individuels de ces dangers étaient clos, et pourtant de nouveaux rapports semblables continuaient d’être consignés dans le système de signalement. Malgré tout, d’année en année, les rapports relatifs au freinage médiocre des trains-blocs céréaliers sur Field Hill étaient clos, aucune évaluation des risques n’était effectuée et les mesures correctives prises étaient insuffisantes. Puisque la dégradation du rendement au freinage était un phénomène saisonnier touchant les trains-blocs céréaliers du CP par températures extrêmement froides, cette condition était devenue normalisée de sorte que l’on s’attendait à avoir besoin de la quasi-totalité du freinage disponible pour descendre Field Hill.
Par ailleurs, la surveillance par TC du comité de santé et de sécurité au travail de Calgary n’a pas permis de cerner le manque de mesures correctives à l’égard du rendement au freinage médiocre des trains-blocs céréaliers descendant Field Hill.
Le CP recueille les données des détecteurs de température des roues (WTD) sur son réseau. Ces détecteurs facilitent l’identification des wagons ayant des roues froides, qui sont un indicateur de mauvais rendement au freinage. Les données recueillies en hiver permettent à la compagnie de chemin de fer de surveiller la sensibilité à la température et le rendement des freins à air des wagons lorsqu’ils sont le plus susceptibles aux fuites. Les WTD sont une technologie de surveillance de la sécurité et, à ce titre, les données qu’ils fournissent doivent être analysées pour cerner les préoccupations en matière de sécurité, les tendances actuelles ou naissantes, ou les situations récurrentes. Toutefois, au moment de l’événement, le CP n’analysait pas activement les données disponibles et a raté l’occasion de cerner le danger et d’atténuer tout risque lié au rendement au freinage des trains céréaliers par température extrêmement froide.
Des évaluations des risques doivent être réalisées avant de mettre en œuvre des changements opérationnels susceptibles de créer de nouveaux dangers ou d’accroître la gravité des dangers existants. Au cours des années précédant l’événement, le CP a apporté plusieurs changements aux procédures d’exploitation de Field Hill, notamment au seuil de vitesse auquel les trains sont autorisés à descendre Field Hill de même qu’aux exigences en matière de robinets de retenue et de freins à main après un serrage d’urgence des freins. Le CP n’a réalisé aucune analyse des risques pour évaluer l’incidence de ces changements sur la sécurité.
Le Règlement sur le SGS exige que les compagnies de chemin de fer s’assurent que les employés exécutant des tâches essentielles à l’exploitation sécuritaire des chemins de fer (comme les chefs de train) ont les compétences et les qualifications nécessaires pour s’acquitter de leurs fonctions en toute sécurité. Toutefois, lorsque le CP a modifié son programme de formation pour les chefs de train qui travaillent sur la subdivision de Laggan, il n’a pas effectué une évaluation des risques posés par cette modification.
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Règlement sur le SGS en 2015, le BST a enquêté sur 11 événements, y compris l’événement à l’étude, dans lesquels des lacunes en matière d’identification des dangers, d’analyse des données pertinentes sur la sécurité ferroviaire ou d’évaluation des risques ont été cernées comme un facteur de risque. De ce nombre, 7 se sont produits pendant des opérations du CP.
Le Bureau a émis une recommandation au ministère des Transports concernant l’efficacité des SGS des compagnies de chemin de fer en 2014, à la suite de son enquête sur l’accident de juillet 2013 à Lac-Mégantic (Québec). Dans son rapport d’enquête, le Bureau a indiqué que jusqu’à ce que les compagnies de chemin de fer du Canada intègrent les SGS dans leur culture et que TC s’assure que les SGS ont été mis en œuvre d’une manière efficace, les avantages en matière de sécurité des SGS ne seraient pas réalisés. Le Bureau a recommandé que
le ministère des Transports effectue des vérifications des systèmes de gestion de la sécurité des compagnies ferroviaires assez poussées et assez fréquentes pour confirmer que les processus nécessaires sont efficaces et que des mesures correctives sont mises en œuvre pour améliorer la sécurité.
Recommandation R14-05 du BST
Depuis lors, TC a achevé ses vérifications exhaustives initiales de toutes les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale. À la suite de ces vérifications, TC a demandé l’établissement de plans de mesures correctives, le cas échéant, et a déclaré continuer de faire des suivis pour s’assurer que toutes les compagnies de chemin de fer ont pris des mesures correctives pour donner suite aux constatations. Dans sa réévaluation de mars 2021 de la réponse de TC, le Bureau a dit juger prometteurs les progrès réalisés par TC et attendre avec impatience de recevoir de l’information sur les constatations.
L’efficacité des SGS des compagnies de chemin de fer demeure préoccupante et figure sur la Liste de surveillance 2020 du BST, une liste des enjeux qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr. Comme l’indique la Liste de surveillance, les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale doivent avoir un SGS depuis 2001, et les exigences réglementaires ont été considérablement améliorées en 2015. Cependant, depuis lors, les SGS des compagnies n’ont pas réalisé les améliorations attendues en matière de sécurité associées à une gestion de la sécurité et une culture de sécurité bien établies, puisque le taux d’accidents de train en voie principale ne s’est pas amélioré. Le BST croit que les SGS des compagnies de chemin de fer ne permettent pas encore de cerner efficacement les dangers et d’atténuer les risques dans le secteur du transport ferroviaire. La gestion de la sécurité restera sur la Liste de surveillance du secteur de transport ferroviaire jusqu’à ce que les données sur la sécurité soient recueillies et analysées afin de déterminer de façon fiable l’évaluation des risques et l’atténuation des risques, ce qui permet d’améliorer la sécurité de façon mesurable.
Une culture de sécurité efficace comprend des mesures proactives pour cerner et gérer les risques d’exploitation. L’identification des dangers dans le cadre d’une évaluation des risques est essentielle pour cerner les mesures d’atténuation nécessaires et est à la base d’un SGS efficace.
Lorsque les dangers ne sont pas identifiés, que ce soit par les signalements, les analyses des tendances des données ou les évaluations de l’incidence des changements opérationnels, et lorsque les risques qu’ils posent ne sont pas rigoureusement évalués, des lacunes dans les moyens de défense peuvent ne pas être atténuées, ce qui augmente le risque d’accident. En fin de compte, ce sont les compagnies de chemin de fer elles-mêmes qui doivent s’assurer de mettre en place la culture, les processus et les procédures nécessaires pour permettre l’identification proactive des dangers, l’évaluation des risques et la mise en œuvre des stratégies d’atténuation. Cependant, TC a également la responsabilité de veiller à ce que les compagnies de chemin de fer non seulement respectent le Règlement sur le SGS, mais gèrent également les risques dans leurs opérations de manière efficace.
Tant que la culture de sécurité générale et le cadre du SGS du CP n’incluront pas des moyens de cerner les dangers de façon exhaustive, notamment par l’examen des rapports de sécurité et de l’analyse des tendances des données, et d’évaluer les risques avant d’apporter des changements opérationnels, le SGS du CP ne sera pas pleinement efficace.
Par conséquent, le Bureau recommande que le ministère des Transports exige que la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique démontre que son système de gestion de la sécurité permet de cerner efficacement les dangers résultant des opérations, en utilisant toute l’information disponible, comme les signalements de dangers par les employés et les tendances des données; qu’il évalue les risques connexes; et qu’il mette en œuvre des mesures d’atténuation et en valide l’efficacité (Recommandation R22-03 du BST).
Réponses et évaluations antérieures
S.O.
Réponse et évaluation les plus récentes
Juin 2022 : Réponse de Transports Canada
Transports Canada accepte la recommandation R22-03 et mettra en œuvre différentes mesures de surveillance et de réglementation pour augmenter la sécurité des employés de chemins de fer:
- En guise de mesure immédiate, le Ministère commencera à effectuer des vérifications ciblées du Canadien Pacifique d’ici le mois d’aout 2022 pour évaluer l’efficacité de ses systèmes de gestion de la sécurité et de son régime de formation. Ce travail permettra de poursuivre les progrès réalisés récemment par le Ministère pour donner suite aux constatations du Bureau du vérificateur général dans son audit de suivi de la sécurité ferroviaire, notamment l’établissement d’un cadre pour appuyer les vérifications de l’efficacité et la définition d’indicateurs de rendement pour évaluer l’efficacité au fil du temps.
- En complément de ces vérifications, Transports Canada exigera immédiatement que le Canadien Pacifique lui fournisse des rapports trimestriels sur le signalement des dangers, l’analyse des données et les mesures de suivi, y compris les mesures correctives prises à la suite des vérifications ciblées. Cette exigence de production de rapports trimestriels contribuera à améliorer le suivi et la surveillance du système de gestion de la sécurité de la compagnie.
- Parallèlement, Transports Canada renforcera sa surveillance des comités de santé et de sécurité au travail du Canadien Pacifique. Cette mesure permettra au Ministère de mieux surveiller si la compagnie cible et atténue efficacement les dangers.
- Par la suite, d’ici le mois d’août 2022, le Ministère lancera des consultations sur de potentielles modifications au Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire. Cette étape importante fera en sorte que les leçons tirées des vérifications ciblées des systèmes de gestion de la sécurité contribueront à l’établissement d’exigences modernes et rigoureuses pour assurer l’efficacité des systèmes de gestion de la sécurité et favoriser le renforcement de la culture de sécurité ferroviaire.
- À l’automne 2022, le Ministère procédera à la publication préalable dans la Partie I de la Gazette du Canada des modifications proposées au Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires. Ces modifications, qui établiront des exigences de formation modernisées pour les superviseurs et les équipes, donneront suite aux constatations du rapport du Bureau de la sécurité des transports.
Juillet 2022 : Réponse de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique
La Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) est convaincue que son système de gestion de la sécurité est efficace pour cerner les dangers en utilisant tous les renseignements disponibles, comme le confirment les vérifications et les efforts de surveillance passés et présents de TC. Le CP ne s’oppose pas à une transparence accrue, mais s’offusque de toute insinuation selon laquelle il y aurait eu des lacunes exigeant une surveillance supplémentaire.
Août 2022 : Évaluation de la réponse par le BST (intention satisfaisante)
Transports Canada (TC) est d’accord avec la recommandation. TC mettra en œuvre une combinaison de mesures de surveillance et de réglementation visant à augmenter la sécurité globale des employés de chemins de fer. TC commencera en août 2022 par une vérification ciblée du CP, visant à évaluer l’efficacité de son système de gestion de la sécurité et de son régime de formation. TC exigera immédiatement que le CP lui fournisse des rapports trimestriels sur le signalement des dangers, l’analyse des données et les mesures de suivi, y compris les mesures correctives prises. En outre, TC prévoit renforcer sa surveillance des comités de santé et de sécurité au travail du CP afin de permettre au Ministère de mieux surveiller si la compagnie cerne et atténue efficacement les dangers.
D’ici le mois d’août 2022, TC lancera des consultations sur de potentielles modifications au Règlement de 2015 sur la gestion de la sécurité ferroviaire. Bien que les détails n’aient pas été fournis, TC a indiqué que les leçons tirées des vérifications ciblées des systèmes de gestion de la sécurité contribueront à l’établissement d’exigences modernes et rigoureuses pour assurer l’efficacité des systèmes de gestion de la sécurité et favoriser le renforcement de la culture de sécurité ferroviaire. Enfin, TC a indiqué qu’à l’automne 2022, le ministère procédera à la publication préalable dans la Partie I de la Gazette du Canada des modifications proposées au Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires qui établiront des exigences de formation modernisées pour les superviseurs et les équipes.
Le Bureau juge encourageant le fait que TC est d’accord avec cette recommandation et a élaboré un plan pour évaluer l’efficacité du système de gestion de la sécurité du CP et renforcer sa surveillance des comités de santé et de sécurité au travail du CP. Par conséquent, le Bureau estime que la réponse de Transports Canada à la recommandation R22-03 dénote une intention satisfaisante.
État du dossier
Le BST surveillera les progrès que TC accomplit à l’égard de ses mesures planifiées.
Le présent dossier est actif.